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etc. Ceci suffit à nous convaincre que la hausse de la valeur des terres exploitées, depuis le XIIIe siècle jusqu’à nos jours, est une hausse tout à fait exceptionnelle ; que, quel que soit le rapport du prix des hectares labourables de 1200 à 1800, avec le prix des mêmes hectares en 1893, ils ont toujours été beaucoup moins chers, comparativement à notre terre actuelle, que les autres marchandises ne l’ont été par rapport aux marchandises actuelles similaires. La terre a augmenté infiniment plus que le pouvoir de l’argent n’a baissé.

Aux XIIIe et XIVe siècles, où la puissance d’achat de l’argent était quatre lois et demie et trois fois plus grande que de nos jours, le prix de la terre était huit fois plus bas (1201 à 1300), puis quatorze fois plus bas qu’aujourd’hui (1301 à 1400). Au XVe siècle, où l’argent valait cinq ou six fois le nôtre, la terre valait vingt-deux fois moins que la nôtre. Au XVIe siècle enfin, où l’argent était de cinq à deux fois et demie plus cher que celui de la fin du XIXe siècle, la terre coûtait dix fois moins qu’elle ne coûte présentement.

Ainsi, tandis que le détenteur d’argent, autrement dit le propriétaire mobilier, est celui qui a été le plus malmené depuis sept cents ans ; que les vendeurs de travail, autrement dit les ouvriers, ont été très diversement traités selon les époques, et que notamment leur situation matérielle avait fort empiré depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la révolution ; les détenteurs de terre, c’est-à-dire les propriétaires fonciers, se voyaient investis d’un privilège qui sembla, malgré des atteintes passagères, impérissable jusqu’à ces dernières années. Et, la tradition aidant, ils s’étaient si bien habitués à voir le capital foncier s’élever avec le prix de la vie, qu’ils n’admettent aucun mouvement en arrière, et considèrent comme une spoliation, en quelque sorte illégale, la cessation d’un état de choses consacré à leurs yeux par une expérience de quatre siècles.

Mais, dira-t-on, dans ce calcul des augmentations de la valeur vénale et du revenu des terres, vous ne tenez pas compte des dépenses effectuées par le propriétaire pour défrichemens, irrigations, desséchemens, engrais incorporés au sol, routes d’accès ou bâtimens d’exploitation ; vous admettez donc la théorie de Ricardo et de Stuart Mill qui font du propriétaire foncier une sorte de parasite des sociétés avancées, tirant à lui le principal profit de tout le travail social. Certes, et je ne fais aucune difficulté de le reconnaître. Aussi bien le fait n’est pas niable ; la remarque des économistes anglais est absolument vraie dans le passé. La catégorie des détenteurs du sol a, pendant de longs siècles, plus largement profité qu’aucune autre classe de l’accroissement de la population