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« qui ne sait à qui s’adresser pour louer de la terre, et nul ne peut lui dire à qui la terre appartient. » Le territoire est en effet si défiguré que bien des gens ne retrouvent plus leurs champs. Ce qu’on loue est loué le sixième, parfois le dixième du prix ancien. Quand on obtient le quart, on doit s’estimer heureux. De la baronnie de Quincampoix, qui contient 717 hectares, en Normandie, on ne parvient à toucher que 261 francs (1448).

Aux alentours de la capitale, dans le département actuel de Seine-et-Oise, ce qu’il y a de terres en friches, de « déserts » au milieu du XVe siècle, est effrayant. Des dénombremens féodaux nous l’apprennent : à Brétigny-sur-Orge, « 36 sous de cens, réduits à 24 sous, puis à néant ; 14 livres de cens, réduites à 10 livres, puis à rien ; » et ainsi de suite. De 1397 à 1442, Vic-Chassenay, en Bourgogne, descend de 500 âmes à 160. Salses, en Roussillon, u qui avait autrefois 400 bonnes maisons, n’en possède plus que 35, toutes misérables. »

La France fut longue à renaître ; de pareilles plaies ne se cicatrisent pas vite, elles risquent même d’être mortelles. Des peuples entiers ont ainsi péri dans la suite des âges, ou bien ils sont restés infirmes, paralysés. Dans nos diverses provinces le mouvement reprit très inégalement. Les gens de Cercottes, « ville champêtre » dans l’Orléanais, avaient dû rester pendant vingt ans loin de leurs biens ; leurs maisons étaient détruites. En 1441, « sachant notre délivrance des mains des Anglais, » ils reviennent peu à peu. La fourmilière humaine, dispersée, décimée, se risque timidement à reprendre son œuvre. La population d’ailleurs était fort diminuée ; la fameuse peste de 1348 avait, au début, largement fauché les hommes ; les violences innombrables, pain quotidien de tout un siècle, agrandirent les vides à leur tour.

Comparé à son prix actuel de 1,600 francs, le prix de 48 francs pour l’hectare de terre, dans la deuxième moitié du XVe siècle, n’en représente que la trente-troisième partie. Ce chiffre de 48 francs n’est d’ailleurs qu’une moyenne que beaucoup de provinces n’atteignent pas : dans l’Ile-de-France, l’hectare, que nous avons vu à 243 francs en 1301-1325, et à 157 francs en 1326-1350, est subitement tombé à 69 francs en 1351-1375, période des jacqueries et des émeutes autour de la capitale ; puis il remonte à 115 francs jusqu’à 1425, pour s’affaisser ensuite à 45 francs, sans doute par suite du voisinage des armées. En Bourgogne, au XIVe siècle, l’hectare était tombé à 20 francs ; il s’abîme en Champagne et en Berry, sous Charles VII, à ce même chiffre de 20 francs, qui n’est pas alors si invraisemblable qu’il paraît ; car, en Saintonge, l’hectare n’en vaut que 16, et n’en vaut que 10 en Dauphiné. Plus favorisés, l’Auvergne et le Limousin demeurent