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consacrées à Chateaubriand. On ne dédaigne pas même les rêveurs et les illuminés. Ballanche a son biographe. Et à mesure qu’on relit leurs livres on est étonné d’abord d’y trouver tant d’idées, et de s’apercevoir ensuite que ces idées n’ont rien perdu ni de leur intérêt ni de leur actualité, mais qu’ils étaient préoccupés déjà de ces mêmes problèmes qui se posent à notre société, et qu’il faudra qu’elle résolve, — ou elle périra.

Parmi les portraits des écrivains de la restauration et de la monarchie de juillet, deux surtout attirent l’attention ; d’abord parce qu’ils ont par eux-mêmes de la valeur, ensuite parce que les hommes que nous y voyons sont de ceux de qui on s’est en ces dernières années le plus occupé. Que pensez-vous de Beyle-Stendhal ? Êtes-vous parmi les fanatiques de sa gloire tardive et parmi les dévots de son culte récent ? Ou pensez-vous que l’engouement dont on s’est pris pour le sec et paradoxal auteur de la Chartreuse de Parme et du Rouge et Noir est un des plus inexplicables qu’on ait vus dans une époque où nous en voyons tant ? Mais quoi que vous en pensiez ou si même vous suspendez prudemment votre jugement, il sera impossible que son portrait ne vous retienne pas. Il est de la main de Soderwark, ancien officier devenu peintre et bon peintre. Comme Stendhal fut dépaysé dans son temps et qu’il sembla dans la société où il vécut un anachronisme, ici pareillement il semble fourvoyé au milieu des hommes qui l’entourent. Dans ce monde distingué et guindé, gentilshommes et grands bourgeois, orateurs et professeurs, doctrinaires et lyriques, il n’a l’air que d’un notaire de campagne, rusé et madré. Le costume est d’un paysan endimanché : redingote de drap épais, lourde chaîne d’or sur un gilet brun. Un cou gros et court. Une tête toute ronde encadrée d’un collier de barbe noire. Les sourcils très marqués et drus. L’expression est fournie par les yeux et par les lèvres. Les lèvres sont serrées comme par une habitude de retenir le mot prêt à échapper et par une crainte d’en trop dire. L’œil perçant, investigateur et narquois vous surveille, étudie sur vous l’effet produit par une boutade de M. Henri Beyle, examine si l’on peut continuer ou s’il est plus prudent de ne pas forcer la note. Nature vulgaire, tempérament sensuel, tour d’esprit de mystificateur, il se peut bien qu’il y ait autre chose dans l’œuvre de Stendhal ; ce n’est rien d’autre qu’a vu et que signale Soderwark dans le gros homme qui a posé devant lui. — On a publié récemment des documens curieux sur les dernières années de la vie de Lamennais. De cette époque date le portrait qu’en a peint Ary Scheffer ; il est, lui aussi, un document et non sans valeur. Il laisse une impression poignante. Il faut le comparer