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promenant dans une chevelure trop lourde des doigts trop grêles qui s’allongent étrangement, fantastique comme un personnage de conte ; Gautier, svelte au temps où le poète Châtillon le peignait en pied, plus envahi par la graisse à chaque portrait où nous le retrouvons, jusqu’au jour où le caricaturiste Giraud le coiffe d’un fez et lui met une longue pipe à la bouche, afin de bien marquer que l’Orient eût été la vraie patrie de ce rêveur indolent, épris des couleurs et des formes, et qui n’eut de toute sa vie qu’une idée, s’il en eut une, celle du néant ; Leconte de Lisle, olympien ; Banville, rêvant à la lune ; Coppée, fin profil de flâneur parisien ; et Sully Prudhomme, tête pensive et douce, à qui le pinceau de Carolus Duran a prodigué ses caresses les plus chaudes. Je n’aperçois ni Brizeux ni Laprade. On les a oubliés, n’en doutez pas ; et plus d’un oubliera d’en faire la remarque. Mais ne vous semble-t-il pas que voilà une belle série ininterrompue de porte-lyre, et qu’on a rarement vu la parole divine passer sur tant de lèvres si harmonieuses !

Par une vue juste de l’histoire littéraire du siècle, à moins que ce ne soit par hasard et pour la commodité du classement, on a placé au centre de cette exposition les écrivains du début de la restauration, groupés autour de Chateaubriand. C’est là en effet qu’est le centre d’où tout le reste a rayonné. Le mouvement parti de là n’a fait depuis et jusqu’aujourd’hui que se continuer. Car on répète complaisamment que du jour où Ponsard eut fait représenter sa Lucrèce y ce fut fini du romantisme et qu’il n’en fallut pas davantage ; et c’est bien contre lui que les écrivains de 1850 n’ont cessé de protester et qu’ils ont cru réagir. Mais ils suivaient, sans s’en douter, l’impulsion une fois donnée. Ils allaient à la recherche d’une vérité de plus en plus particulière. En sorte que le réalisme, tel que nous l’avons connu, et le naturalisme dont nous célébrions naguère les funérailles, n’ont fait que développer le principe du romantisme. Il n’est pas jusqu’aux plus récentes parmi nos modes littéraires et aux affectations qui passent pour des élégances auprès de nos jeunes gens, dont nos grands-parens ne nous eussent donné l’exemple. Nous avons vu reparaître le désenchantement de René et d’Obermann ; nous nous sommes repris aux subtiles analyses d’Adolphe ; et sous des déguisemens où il n’est que trop aisé de les reconnaître, c’est le christianisme littéraire et c’est le vague sentimentalisme du début de ce siècle qui emplissent encore les livres d’aujourd’hui. Aussi est-ce vers cette époque féconde que ne cesse de se reporter la curiosité de la critique. Les études se multiplient. On ferait une bibliothèque rien qu’avec celles qu’on a dans ces derniers temps