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seigneurs de jadis, pillards de grandes routes, il est incapable de repos. Avec sa longue et maigre silhouette, ce masque tourmenté au-dessus duquel une touffe de cheveux fait l’effet d’une flammèche qui brûlerait constamment, et cet œil mobile et sans pensée, il semble n’avoir été bâti que pour incarner l’agitation dans ce qu’elle a de plus dangereux. — Il est rare, cela va sans dire, qu’on se ressemble ainsi à soi-même. Néanmoins, à mesure que nous parcourons cette galerie de portraits, nous sommes surpris de voir que nous n’éprouvons ni de trop fréquentes, ni de trop violentes surprises. C’est bien ainsi que nous nous figurions ce poète ; et ce romancier nous apparaissait justement sous les traits que nous lui voyons. Cela vient de raisons qu’il n’est pas besoin d’aller chercher très loin. C’est d’abord que de toutes ces figures presque aucune ne nous était inconnue. Le goût de l’image se répand parmi nous chaque jour davantage. Depuis les livres de classe qui mettent sous les yeux de nos écoliers les traits authentiques d’Homère, et jusqu’à ceux des collections élégantes à l’usage des gens du monde, ils ont tous à la première page un portrait, reproduit souvent par des procédés d’une fidélité remarquable. Du plus long temps qu’il soit, nous étions familiarisés avec la face de commis voyageur de Balzac et le profil de chèvre de Musset. L’association s’est faite dans notre esprit. — Puis il se rencontre que l’artiste ait subi le même prestige que nous et qu’il ait été dupe d’une illusion pareille. Quand il s’est mis devant son modèle, il avait sur lui trop d’idées toutes faites et il n’a pas pu l’apercevoir directement. Lui aussi il ne l’a vu qu’à travers son œuvre. Il n’a pu oublier les choses qu’avait écrites celui dont il fixait les traits sur la toile ou dans le marbre. Il a fait comme David d’Angers qui mettait une couronne de lauriers au buste de Victor Hugo. — Et il se produit enfin qu’un écrivain en vienne à ressembler à son œuvre. Il prend insensiblement l’attitude qui convient. Il se conforme à son emploi. Comme on en arrive peu à peu à se donner les sentimens qu’on affecte et à croire aux idées qu’on soutient.

Et donc, en parcourant ces galeries, demandons-nous si l’image que nous nous étions faite de ces écrivains se trouve contrariée ou justifiée. Jouons à ce jeu des contrastes et des ressemblances. Ce n’est qu’un jeu et qui n’a pas plus de signification. Mais il n’y a pas autre chose à faire. Au surplus, il n’y a pas d’inconvénient à employer une méthode qu’on sait arbitraire et factice : le défaut, dès qu’on l’a découvert, n’en est plus un danger.

On a fait place d’abord à quelques écrivains du XVIIIe siècle. C’est, je pense, afin d’introduire quelque variété. On a voulu rompre la monotonie du costume moderne et mettre une note de fantaisie