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elle témoigne. L’auteur des Trois mousquetaires et aussi bien d’Antony n’était pas de ceux dont il reste une pensée, ou dont un mot survit pour la lumière qu’il a jetée dans un coin obscur de notre âme. Sa part fut différente, et il n’eût pas hésité à trouver que c’est la meilleure part. Après sa mort, il n’a pas cessé d’amuser les hommes, ainsi qu’il avait fait durant sa vie. Tandis que la gloire des plus grands est soumise aux reviremens de l’opinion, et tandis que nous voyons délaisser quelques-uns de ceux que nous aimons le mieux, les livres de Dumas père sont entre plus de mains qu’au temps de leur apparition. Il a pour lui tous les lecteurs illettrés, qui sont toujours la grande majorité, mais dont le nombre va croissant à mesure qu’il y a plus de gens qui lisent.

Victor Hugo lui-même ne vient qu’au second rang. Joseph de Maistre n’y est pas, si Cormenin y est dignement représenté. Michelet, Sainte-Beuve, Mérimée, beaucoup d’autres y sont à peu près inaperçus. Il est vrai qu’on a fait quelque place à Louis-Charles Caigniez, dramaturge, auteur de la Pie voleuse, et à Théodose Burette, historien. On eût souhaité que quelque choix eût présidé à l’adoption des œuvres exposées. On eût souhaité aussi que, pour nous diriger parmi elles, le catalogue pût nous être de quelque secours, et qu’il nous donnât, par exemple, sur la date où le portrait a été peint quelques indications. Mais il est à ce point de vue d’une remarquable sobriété. Et quand on voit ce que valent les renseignemens qu’il nous donne, on ne songe plus à regretter qu’il n’en ait pas été plus prodigue. Un portrait baptisé du nom de Proudhon est tout simplement le portrait de n’importe qui. « Silvestre de Sacy, orientaliste, né à Paris en 1758, mort en 1838, » disent les dictionnaires de biographie ; et les rédacteurs du catalogue pareillement ; sans songer que cet orientaliste eut un fils qui s’occupa des choses de France, et que ce fils se trouve être l’original des trois portraits exposés. — Mais faut-il insister sur ces misères ?

Il est bien entendu qu’une exposition de ce genre ne s’adresse qu’à une curiosité aussi vaine qu’elle est d’ailleurs légitime. Ceux dont la pensée s’est gravée en nous profondément, ou dont le rêve a bercé notre rêve, il est naturel, quand nous en évoquons le souvenir, que nous aimions à le fixer dans une image matérielle. Il nous plaît de les voir avec les yeux du corps. Les badauds ne sont pas les seuls qui cherchent à connaître la personne des écrivains célèbres. J’ai entendu conter à l’un des plus fins lettrés d’aujourd’hui les longues stations qu’il fit jadis sous le balcon où il savait que George Sand, vers les quatre heures du matin, sa tâche étant finie, venait respirer un peu d’air. Il l’aperçut enfin et la salua