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Je le souhaite avec eux. Il suffit d’examiner la physionomie, le geste, le style oratoire de certains membres du parlement, pour se convaincre, en effet, qu’on se trouve en présence d’un artiste égaré dans ses voies. L’Italie a perdu, à faire son unité, plusieurs grands écrivains. Et, parmi les contemporains, pour ne citer qu’un nom, je me demande si l’on peut voir la tête de poète inspiré de M. Zanardelli, le président de la chambre, sans songer qu’il était né pour porter le luth.

D’autre part, il est vrai qu’au milieu d’un grand nombre de livres médiocres, d’imitations faibles et souvent maladroites d’ouvrages étrangers, les Italiens ont produit, ces dernières années, quelques œuvres d’un mérite réel, et pleines de promesses. Est-ce une école qui commence ? Peut-être. Nous connaissons les voyages de De Amicis, mais fort peu ses romans ou ses recueils de nouvelles, le Roman d’un maître d’école par exemple, ou ces deux livres pour les enfans, Cœur et Entre l’école et la maison, dont le premier surtout a obtenu en Italie un succès énorme, — j’ai entre les mains un exemplaire de la 136e édition. — De Amicis me semble cependant bien plus original, bien plus national sous ce nouvel aspect. Je laisse de côté tous les essais de romans du grand monde, du monde bourgeois ou du demi-monde, qui n’ont pas paru très heureux, jusqu’à présent, à l’exception du Daniele Cortis de Fogazzaro. Mais les Nouvelles du Val d’Aoste de Giuseppe Giacosa ; les récits de mœurs toscanes de Mario Pratesi, In provincia ; les Veillées de Néri de M. Renato Fucini, un autre Toscan ; l’Innocente de Gabriele d’Annunzio, un styliste éminent, né dans les Abruzzes, qui a tenté plusieurs voies littéraires ; surtout les nouvelles de Salvatore di Giacomo, de Mme Matilde Serao, de Verga, sur lesquels je reviendrai en parlant du sud italien, me paraissent des œuvres de haute valeur, toutes nées de cet amour de la province que je signalais tout à l’heure, et, à cause de cela, vivantes, vraies, colorées. Même pour un étranger, il est évident que les conteurs italiens ont trouvé là une veine féconde, d’une richesse inépuisable. S’ils savent s’y tenir, nous aurons des chefs-d’œuvre. Et tout les y porte : le succès, leur sentiment tendre et juste des souffrances populaires, le voisinage intime, presque le mélange des classes, dans une société demeurée moins orgueilleuse, au fond, et plus chrétienne que la nôtre, la variété des coutumes locales, des types, des races, et ce merveilleux élément de couleur et de poésie : les dialectes.

Nul ne s’y trompera, d’ailleurs. La tradition que la prose italienne semble très heureusement vouloir reprendre, les poètes de dialectes l’avaient conservée. Eux, ils n’ont jamais failli à leur vocation. Ils sont restés les plus Italiens des auteurs, inconnus en