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divisions où le nombre des votans dépasse 2,000, le candidat a droit à une dépense personnelle de 380 livres sterling, augmentée de 30 livres pour chaque millier d’électeurs supplémentaires. Winterbottom ne pouvait donc, en dépit de son opulence, consacrer à sa propagande plus de 470 livres sterling.

Aussi n’était-ce point pour le dixième de pareille somme que M. Cook consentait à servir d’agent à son maître. Il n’avait pas songé un instant à refuser à Richard le service que ce dernier réclamait de lui. Habile, concentré, flairant le vent avant de prendre une décision importante, cette fois il était allé droit au but comme si quelque instinct supérieur l’eût averti qu’il y trouverait profit et gloire, Il était bien décidé à s’employer de toutes ses forces au triomphe du commerçant, encore que la connaissance des lieux lui laissât peu d’espoir de déposséder sir Francis. En vérité, il aurait eu mauvaise grâce à se dérober. Depuis dix ans qu’il était à la tête du Pantheon, M. Charles Cook avait dirigé l’établissement avec une méthode admirable. S’il en enrichissait le propriétaire, il avait aussi travaillé pour lui, et c’était avec une satisfaction profonde qu’il constatait, aux balances annuelles, que sa propre part dans les bénéfices était chaque fois plus importante. Riche, il ne l’était pas encore, mais il n’en jouissait pas moins d’un revenu de 700 ou 800 livres par an, a comfortable little income, comme on dit là-bas. D’ailleurs ambitieux, espérant bien monter encore, monter sans cesse, et doué d’autant d’initiative et d’audace que son chef avait de faiblesse et de préjugés. Oui, il irait loin, il le sentait, il en avait le clair et intime pressentiment ! Une fierté le prenait le soir quand, après avoir vérifié les comptes de la journée, donné ses ordres pour le lendemain, signé la correspondance et les chèques, il mesurait, pensif, l’étendue du chemin parcouru. De l’élégant cabinet qu’il occupait, si chaud, si respectable, avec son téléphone et ses tuyaux acoustiques, — Toutes les commodités modernes, — sa pensée vagabondait, le ramenait à un passé déjà bien lointain. Il revoyait tout, l’abandon où l’avaient laissé des parens morts sans fortune, et la maison paternelle, déserte et nue, et l’auctioneer mettant aux enchères les meubles où avait grandi son enfance. Ah ! quelle pitié ! Il n’oublierait jamais les épreuves qu’il avait traversées, ses débuts au Pantheon où le père de Richard, avec sa bonté accoutumée, avait consenti, sur la recommandation d’amis communs, à lui confier un emploi. Et il riait au souvenir des 8 schellings par semaine qu’il gagnait à ficeler des paquets, tracer l’adresse des destinataires de sa belle et ferme écriture. Lentement d’abord, puis rapidement, il montait en grade, passait à la comptabilité, s’insinuait dans les bonnes grâces du patron frappé de sa vive intelligence et des qualités de ce jeune homme moins fait pour