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n’eut plus d’autre marché que les trois royaumes, l’or des peuples passa la Manche, tous les Anglais devinrent millionnaires ; et ainsi fut résolue la question du paupérisme. Il entrevit une Britannia gigantesque, dressée sur un piédestal autour duquel figuraient en relief les races domptées. Des laboureurs, des négocians, des artistes, l’attitude heureuse et reconnaissante, tournaient les yeux vers la déesse dont la main les avait comblés ! Ainsi s’exprimait Winterbottom avec une éloquence fougueuse, maîtresse d’elle-même cependant. Il allait, venait, se levait pour se rasseoir, arpentait une fois de plus la salle à manger. Ses amis, MM. Simpson et Watkins, se seraient plutôt lassés de boire que de l’écouter. Ils contemplaient sa majestueuse personne, la chaîne de montre dont le métal rouge ruisselait sur le gilet très ouvert, la cravate blanche irréprochable, l’habit sorti des mains du meilleur tailleur de Piccadilly. Les escarpins vernis, les chaussettes de soie à fleurettes fines complétaient la tenue du personnage. Et ainsi l’ensemble était imposant, — encore que la face fût enluminée, le crâne chauve, la barbe rousse, et qu’il ne fût que trop apparent, en regardant Winterbottom, que l’élégance et la distinction ne s’obtiennent pas à prix d’argent.

Mais la soirée ne pouvait finir par des discours, si intéressans qu’ils fussent, car c’est peu de parler quand il faut agir. On s’était réuni pour prendre des résolutions sérieuses. Les élections générales étaient proches, tout l’indiquait. Sans doute, fort d’une majorité que les scrutins partiels avaient, hélas ! bien entamée, le premier ministre tenait de la constitution le droit de conserver le parlement jusqu’à l’expiration des sept années. Mais tout démontrait que le marquis de Salisbury n’aurait pas recours à un semblable moyen. Déjà l’opposition était impatiente. Elle harcelait les ministres de ses questions, et dans la presse, dans les couloirs de la chambre, aux clubs et en tous les lieux où s’agitent les politiciens, on commentait les réponses, d’ailleurs hésitantes, des membres du cabinet conservateur. Poussés dans leurs derniers retranchemens, chaque jour assaillis par un ennemi différent, — gladstonien, nationaliste, parnelliste, représentant ouvrier, ils faisaient une belle défense, les Balfour, les Goschen et les Hicks-Beach ; ils tenaient tête à leurs adversaires avec une vaillance intrépide. Quand aurait lieu la dissolution ? On l’ignorait encore au 1er juin et il appartenait aux tories, aux hommes soucieux de l’avenir de l’Angleterre, de s’occuper d’ores et déjà de la lutte future et de s’organiser pour la victoire. Barton était une ville de quelque importance. À une époque où on y comptait cent habitans, Elisabeth traversa en carrosse l’humble village ; sa majesté était altérée ; d’une belle fille elle