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fraîcheur. Et la campagne est ravissante alentour. On l’aperçoit, par les larges baies vitrées, moins vaste que tout à l’heure, mais plus molle encore de lignes et d’une intimité dont le charme vous enveloppe. Par-dessus les bosquets de la villa, semés de statues blanches, des pentes de collines cultivées en vignes et en vergers, une vallée qui s’en va vers la gauche, et tourne avec une grâce de fleuve, et se perd entre d’autres collines, un air très pur, des gazons ravivés et des feuilles jaunies par l’automne, point de bruit, si ce n’est, par momens, un coup de fusil suivi du vol bondissant d’une grive ou d’une troupe d’étourneaux. Si les Italiens demeurent à peu près le même temps que nous à la campagne, — ils quittent la ville aux premières chaleurs et ne rentrent qu’en décembre, — ils y sont retenus par des raisons un peu différentes des nôtres. Leurs villas sont, moins que les châteaux de France, appropriées aux réunions nombreuses et bruyantes. La saison des chasses n’existe pas. La Saint-Hubert se fête au plus avec un salmis de merles ou un civet de lièvre. Mais il y a souvent un ami ou deux, et plus de lecture, plus de rêve, plus de promenades à pied, plus d’heures paresseusement dépensées à goûter, du bord d’une terrasse ou du milieu d’un salon orienté avec art, la poésie languissante d’un automne moins rapide que le nôtre. M. L. exprimait une idée pareille lorsqu’il me conduisit dans la maison de Fogazzaro, — tout près du domaine de Nani, sur la même arête de colline et devant le même horizon, — et qu’il me dit, montrant le cabinet du poète, meublé à la parisienne, encombré de bibelots, et percé de trois fenêtres ouvertes sur les Colli Berici : « Croyez-vous que ce soit Fogazzaro qui fait des vers ? Vous voyez bien que non : c’est la campagne qui chante ! »

L’excellent homme ne se crut pas quitte des devoirs de l’hospitalité pour m’avoir reçu la veille et accompagné le matin, il voulut me montrer tout Vicence, en détail. Je passerai sous silence le musée, — les guides en parlent, — la bibliothèque, où je trouvai deux bibliothécaires prêtres, à tournure monacale, très savans, paraît-il, bibliophiles passionnés, le théâtre olympique, où l’on jouait Œdipe roi, à la fin du XVIe siècle, les rues même, si curieuses, pour parler d’une œuvre toute moderne : l’école industrielle de Vicence. Elle a été fondée sur le modèle de nos écoles d’arts et métiers. L’Italie n’en possédait qu’une seule, à Fermo, dans les Marches, quand, il y a seize ans, un des industriels les plus riches du nord, un homme de bien, dont les tissages de laine occupent à Schio 5,000 ouvriers, M. Alexandre Rossi, résolut de doter sa province d’une institution qu’il était venu étudier en France, et qu’il jugeait indispensable au développement de l’industrie en Italie. Je me souviens avec quelle sorte de prédilection