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dieu de la guerre veut être gavé d’or, à défaut de sang, et il en consomme des quantités prodigieuses. L’armée de paix, dans un grand État actuel, atteint un effectif que jamais les États d’autrefois n’eussent imaginé pouvoir réunir en temps de guerre, lorsqu’ils achetaient les soldats au lieu de les prendre gratis. Le parlement, nommé le 15 juin, a voté la loi militaire le 15 juillet, à une majorité de 16 voix (201 contre 185), ainsi que nous le prévoyions il y a un mois. La discussion a été courte. Après une séance consacrée à l’audition d’un discours de l’empereur, plein d’une grandeur religieuse, — évidemment Guillaume Il est convaincu qu’il remplit une mission providentielle et qu’il rend un signalé service à « son peuple, » comme il peut, suivant l’antique esprit féodal, nommer la nation allemande, en envoyant cinquante mille jeunes soldats de plus sous les drapeaux, — après la nomination du président, M. de Levetzow, remis en possession du fauteuil qu’il avait quitté au mois de mai, le Reichstag a commencé immédiatement ses travaux.

L’empereur, recevant les membres du bureau, avait fait remarquer qu’en France les demandes de crédit pour l’armée ne rencontrent jamais d’opposition ; il avait fait ressortir la rapidité avec laquelle, disait-il, on avait voté à Paris la loi concernant les cadres. L’exemple n’était pas bien choisi peut-être, puisque notre loi des cadres est restée plus d’un an dans les cartons, et que, dans le dernier rapport de M. Mézières, qui a précédé le vote final, elle n’est plus apparue que comme l’ombre d’elle-même, fort différente du projet primitif. Au contraire, huit jours ont suffi à Berlin pour les trois lectures du projet de M. de Caprivi, tel qu’il avait été amendé par M. de Huene. Les mêmes orateurs que nous avions entendus, il y a deux mois, sont remontés à la tribune pour y refaire à peu près les mêmes discours : MM. de Manteuffel, pour les conservateurs, de Kardorff pour le parti de l’empire, Rickert pour les ralliés de l’union libérale, et Jazdzewski pour les Polonais, autres ralliés ceux-là, qui ont su tirer habilement parti de leur voix, ont parlé en faveur de la loi militaire. MM. le comte Hompesch au nom du centre, Bebel au nom des socialistes et Richter au nom du parti progressiste, bien réduit, mais ferme encore sur ses ruines, ont motivé les répugnances que leur inspirait l’augmentation demandée.

Suivant la coutume, et chacun pour les besoins de sa cause, les amis du pouvoir ont représenté la France et la Russie comme très fortes, très riches, très dangereuses ; les orateurs de l’opposition les ont peintes, au contraire, sous les couleurs les plus noires, très pauvres, très divisées, très faibles. On affirmait que l’acceptation du projet de loi serait subordonnée, par quelques hésitans, aux engagemens que prendrait le ministère sur l’irrévocabilité du service de deux ans que l’on va établir. Il n’en a rien été ; le comte Caprivi s’est borné à déclarer, sans se compromettre, que « les gouvernemens confédérés,