Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Annamites ne nous étaient pas rendus, il avait ordre de quitter immédiatement son poste et que nous aviserions. Le gouvernement de Siam qui, par l’organe de son ministre à Paris, avait aussitôt protesté de ses regrets au sujet de cet incident, se décida, après avoir longtemps promené le capitaine Thoreux dans le Laos, à le remettre enfin, il y a peu de jours, aux autorités françaises.

Mais alors un autre fait, beaucoup plus grave, se produisit : le poste de Cammom, sur la rive gauche du Mékong, était occupé par un mandarin siamois. Celui-ci, sur l’injonction de notre résident, M. Luce, fut obligé d’abandonner ses fusils et de se diriger vers le fleuve pour se réfugier sur la rive droite. Il avait à craindre la vengeance des populations au milieu desquelles il devait passer et qui avaient eu à souffrir de ses exactions ; aussi un inspecteur de la milice, M. Grosgurin, l’accompagnait-il pour le protéger, en attendant que la question territoriale fût réglée par les deux gouvernemens. Lorsque le détachement arriva à Keng-Kien, M. Grosgurin tomba malade. Le mandarin en profita pour faire venir d’Houtène, localité située sur la rive droite du Mékong, une bande de Siamois armés. Une fois assuré d’avoir en main une force suffisante, le mandarin fit cerner la maison et, après avoir fait massacrer les quatorze miliciens qui la défendaient, il pénétra lui-même dans la chambre où M. Grosgurin était étendu et, d’un coup de revolver, il assassina dans son lit le malheureux inspecteur.

Ce fait, la cour de Siam n’a pas osé en contester l’atrocité ; elle s’est bornée à demander qu’on lui laissât le temps de prendre des renseignemens, de faire une enquête. C’est alors que, pour obtenir les réparations que nous étions en droit d’exiger, et pour régler la question du Mékong ainsi que d’autres questions pendantes, le ministère français plaça le Siam en présence d’une mise en demeure formelle, et envoya dans l’Indo-Chine M. Le Myre de Villers pour y faire valoir nos justes revendications. Le gouvernement anglais ayant résolu, sur ces entrefaites, de faire partir pour Bangkok plusieurs bâtimens de guerre, en vue de protéger ses nationaux, la France décida d’augmenter aussi ses forces navales. Les instructions de l’amiral Humann, qui les commandait, lui prescrivaient de n’engager aucune hostilité et même, tout en réservant les droits que nous tenons du traité de 1856, dont nous entendions nous servir à notre convenance, de ne pas passer la barre du Ménam, sauf le cas où nos vaisseaux seraient attaqués et forcés de répondre au feu de l’ennemi. Cette réserve était utile, car l’Inconstant et la Comète, arrivés le 13 juillet à l’embouchure du Ménam, y étaient accueillis par le feu des forts et des navires siamois. Nos marins, avec une admirable intrépidité, n’hésitèrent pas à franchir les barrages et les torpilles qui défendaient l’accès de la rivière, et, ne pouvant s’arrêter à Packnam, allèrent mouiller à Bangkok, en vue de la capitale.