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empêché bien des réformes qui demandent quelque esprit de suite. C’est un lieu-commun, dans les conversations et les journaux, de se plaindre de l’absence d’hommes de gouvernement ; qu’on nous donne un Richelieu, un Pitt ou un Bismarck, avec les assemblées que nous avons eues depuis vingt-trois ans, ils ne seraient pas restés six mois au pouvoir ! Bien mieux, les principaux personnages qui ont dirigé depuis 1871, avec des qualités et des fortunes diverses, les destinées de ce pays, M. Thiers ou M. de Broglie, Gambetta ou Ferry, ont tous été renversés par des coalitions où leurs propres amis ont pris une part notable et jouaient même parfois le rôle principal.

Il est vrai que les artisans de leur défaite ont été les premiers à faire leur éloge ; c’est depuis longtemps la mode française ; comme disait jadis M. Guizot, on s’est repenti de la chute de la restauration peu de temps après le chant du coq. À cela le temps seul apportera remède, et les palinodies sont choses pardonnables à un siècle qui est plusieurs fois passé du despotisme à l’anarchie. Que l’on compare la situation présente à celle même d’il y a une douzaine d’années, et l’on verra quels progrès ont été réalisés dans la voie de l’apaisement, de la sagesse. La question de la forme du gouvernement est enterrée ; la république, avec plus ou moins d’enthousiasme, est acceptée de tous. La question religieuse est écartée. Ceux qui ont voté les lois, objet de tant de polémiques, veulent s’en tenir là et entendent maintenir le concordat, dans son esprit comme dans sa lettre. Il n’y a pas un mois que le retour aux mesures de proscription des ordres religieux, demandé par l’extrême gauche, était repoussé par le ministère et par la majorité de la chambre. Quant à ceux qui ont combattu ces lois de laïcisation avec le plus de violence, ils s’y soumettent aujourd’hui, en demandant seulement qu’on les applique dans un esprit de modération équitable. L’église elle-même les engage à remettre au fourreau l’épée qu’ils avaient tirée pour sa défense.

Restent les questions économiques et sociales, qui seront le sujet de discussions nouvelles dans la future chambre, mais sur lesquelles on est fort divisé dans le sein de chaque parti politique et qui offriront peut-être l’occasion de groupemens nouveaux. Quant aux questions diplomatiques, la France présente le modèle d’un accord, et l’on peut même dire d’une patriotique unanimité, qu’il s’agisse de l’orientation des alliances européennes, ou des entreprises coloniales jadis si contestées dans notre parlement, avec plus ou moins de fondement, par les oppositions de droite et de gauche.

Nous n’en voulons pour preuve que l’approbation donnée par les deux chambres, avant leur séparation, à la conduite énergique du ministre des affaires étrangères, dans le litige qui vient de se terminer entre la France et le royaume de Siam. On sait que la péninsule indochinoise est traversée du nord-ouest au sud-est par le Mékong. Ce