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chambre. Comme il ouvrait la porte, Lou, debout près de la table du milieu, se tourna vers lui avec un petit cri de surprise, ramenant en même temps les deux bouts de la neigeuse étoffe sur sa poitrine.

— Oh ! George, comme vous m’avez fait peur ! Je rangeais justement vos affaires. — Et elle rougit jusqu’à la racine des cheveux, tout en cherchant à lire ses impressions sur son visage.

— Merci, répondit-il négligemment. — Puis, s’apercevant qu’elle attendait, il la regarda avec plus d’attention, en ajoutant : — Comme vous voilà belle ! J’aime cette toilette, elle vous va bien.

Il fit un mouvement vers elle. La jeune fille tendit ses deux mains comme pour rencontrer les siennes, mais ce geste rejeta l’écharpe en arrière et sa beauté fut dévoilée du coup. Une fois de plus, Bancroft demeura ébloui par ses perfections purement physiques ; quelque chose pourtant dans l’expression de sa physionomie le fit réfléchir soudain ; une jalousie hautaine prit possession de lui et, la regardant impassible : — Je suppose, dit-il, que cette robe a été mise en l’honneur de Mr Barkman.

— Oh ! George, s’écria Lou déconcertée, il n’est pas venu aujourd’hui.

Comme Bancroft ne se départait pas de sa froideur, elle ajouta précipitamment : — Je l’ai mise pour vous, George, croyez-moi.

Mais il ne se laissait pas toucher. C’en était trop. Elle eut la conscience subite d’avoir trahi son secret et des larmes amères jaillirent de ses yeux. Alors Bancroft la prit dans ses bras, essaya de la consoler, et elle s’abandonna si bien à son étreinte que, quelques instans après, il la caressait tout de bon. Mais ses sanglots ne s’apaisaient pas. Elle avait fait tout ce qui était possible, tout, et cela ne servait à rien ! À la fin, Bancroft, voyant qu’il ne pouvait arrêter ce déluge de pleurs, s’impatienta ; le piège lui paraissait grossier ; quelle impudeur ! Comme à la lueur d’un éclair, il vit sans masque cette vanité enfantine, pitoyable. Et il n’en eut pas compassion ; pour cela il était trop jeune. Le mépris fut chez lui le plus fort ; il retira d’elle l’étreinte de ses bras, et, avec un long soupir, un soupir déchirant, Lou gagna la porte, puis disparut. Traversant le corridor, elle courut jusqu’à sa chambre et là, se jetant sur le lit, pleura comme si son cœur allait se briser. À cet orage succéda l’accablement d’une misère absolue. Elle avait tout perdu ; George ne l’aimait pas, elle aurait à passer sans lui sa vie entière ; et de nouveau tombaient les grosses larmes lourdes et brûlantes.

Soudain, la pensée d’être obligée de descendre à table où elle le retrouverait et le souvenir de ce qu’elle avait fait, de ce qu’elle avait avoué la plongèrent dans une honte mortelle. Non, elle ne pouvait