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mais cependant il faut savoir ce qui a été dit et pensé de meilleur en ce monde. Il est plus aisé de monter à l’échelle quand d’autres nous en ont appris le moyen, et vous avouerez que mieux vaut parler correctement qu’en faisant des fautes.

— Ça ne signifie pas grand’chose, ma foi, pourvu que les gens comprennent ce que vous voulez dire et, quant à grimper l’échelle, un singe peut le faire.

Bancroft fut déconcerté. Un perpétuel malentendu impose le silence. Vaguement il sentit que Lou avait tort d’un bout à l’autre comme de coutume, mais pourquoi se donner la peine de la redresser ? Blessée au cœur, la jeune fille attendait de son côté qu’il parlât. Elle sentait qu’il ne se souciait pas d’elle et cherchait à découvrir en quoi elle avait pu l’offenser. Comme il persistait à se taire, son orgueil lui vint en aide : d’autres l’aimeraient s’il ne l’aimait pas, elle le lui ferait bien voir !

Avec une apparente négligence elle ajouta donc :

— Je suis invitée ce soir. Bonne nuit, George Bancroft !

— Bonne nuit, miss Lou ! répondit le jeune homme avec calme, quoiqu’une souffrance intime lui prouvât que la jalousie peut survivre à l’amour. Mais il était trop fier pour montrer son chagrin. — Je crois que j’irai ce soir au meeting de l’école.

Et ils se séparèrent. Lou remonta dans sa chambre, fondre en larmes sur la froideur de George en regrettant de n’avoir pas été mieux instruite, de n’avoir pas appris ses leçons à l’école avec plus de soin ; mais sa conclusion fut toujours que, s’il ne l’aimait pas, elle en trouverait d’autres, et qu’elle saisirait la première occasion de le lui faire voir.

Bancroft alla, comme il l’avait dit, à l’assemblée, qui se montra unanime dans son appréciation des événemens. Un jeune fermier du comté le plus proche était présent. Il dit qu’un officier des États-Unis avec douze soldats et un arpenteur était venu tracer la limite en arrachant ses palissades, en foulant aux pieds le maïs qui était, disait-il, planté sur la réserve indienne. Là-dessus, le meeting prit la résolution suivante : « Considérant le fait que la terre cultivée par des citoyens américains sur la réserve indienne n’a jamais été défrichée par les Indiens, qui se tiennent dans les bois, et que la volonté de Dieu est que la terre produise des fruits pour la subsistance de l’homme, nous sommes décidés à maintenir nos droits de citoyens et à les défendre contre tout agresseur. »

Il fut convenu que des copies de cette résolution seraient envoyées au général Custer et aussi à Washington, au président, au sénat et au congrès. Après quoi l’assemblée se dispersa, mais non pas avant que tous les hommes présens ne se fussent promis de