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Redtern. Ici, on est venu très simplement. La plupart des hommes ne portent même que le chapeau rond. Cependant il serait imprudent de conclure trop vite, car, aux réceptions du soir, tout change comme par enchantement, et Milan est peut-être, avec Rome, la ville d’Italie où l’on voit, sous le feu des torchères et des lustres, le plus grand luxe de toilettes et de bijoux.

Une autre chose étonne encore : l’absence presque absolue d’uniformes, de barrières et de police. Le plumet blanc d’un aide-de-camp se promène çà et là parmi les groupes ; un questurino, sanglé dans sa tunique, demande le passage pour le roi et la reine ; mais la personne des souverains ne semble pas gardée. On les approche, on les enveloppe comme dans un salon où tous les invités seraient connus et présentés. La reine s’arrête dans les salles d’étude, demande à cette jeune fille aveugle d’écrire le nom de Marguerite de Savoie, à cette autre de lire dans un livre aux caractères en relief, admire les ouvrages de couture ou de broderie d’une troisième. Elle connaît vraiment très bien son difficile métier de reine. On ne saurait mieux, ni plus obligeamment interroger, remercier, paraître s’intéresser à tout. Et cette visite souriante à de pauvres filles intimidées émeut comme un acte de charité et comme une chose très bien faite, surtout quand on peut suivre cette petite distribution de questions, — pareille à une distribution de récompenses, — posées d’une voix bien timbrée, et la mimique expressive et naturelle de ces doigts d’Italienne, qui parlent aussi clairement que les » lèvres. Pendant ce temps, le roi cause, résigné, avec plusieurs personnages, et souvent avec l’abbé Vitali, un prêtre de cœur et de savoir, paraît-il, directeur de l’institut charitable, le même qui a composé les vers de la cantate exécutée tout à l’heure :


Il tuo spirito, o regina eccelsa et buona,
È ovunque, e dolce il nome tuo risuona,
Ma dove piu gentil corre il tuo core
È dove sta il dolore.

Ton esprit, ô reine grande et bonne,
Est partout, et doucement ton nom résonne,
Mais là où le plus volontiers court ton cœur,
C’est où se trouve la douleur.


Tout le monde italien vit sur ce pied de diplomatie familière. Quelqu’un m’a raconté qu’à Gênes, pendant les fêtes du centenaire de Colomb, le canot à vapeur du roi était entouré d’un grand nombre de barques, montées par des curieux de toute espèce et de tout rang, et que, bien souvent, des inconnus, des gens du petit peuple, venaient toucher l’épaule ou le bras du roi, et disaient : Buona sera, maestà !