Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des millions de rentes françaises s’achètent et se vendent sans que les cours varient d’une fraction appréciable. Le lecteur sent de quelle importance sont pour le Trésor la constitution et le maintien d’un marché pareil qui apporte un concours précieux, presque indispensable, à l’émission de chaque nouvel emprunt national.

Mais ce n’est pas le lieu d’insister sur ces considérations techniques et spéciales. Aussi bien avons-nous déclaré que nous ne nous ferions point l’avocat de ces spéculations sans autre but que la réalisation d’un bénéfice par la hausse ou la baisse de l’objet acheté ou vendu à découvert. Mais elles ne forment qu’une bien faible part de l’ensemble des transactions à terme, lesquelles sont au contraire indispensables, dans bien des cas, à la conduite régulière des affaires d’un financier, d’un commerçant, d’un industriel et même d’un simple particulier.

Nous n’avons pas à revenir sur le cas si simple et si fréquent de l’acheteur qui, sans être encore nanti d’une somme qu’il attend à date fixe, désire profiter du cours actuel pour s’assurer la possession d’un titre ou d’une marchandise. Je sais par exemple qu’une somme de cent mille francs dont j’ai hérité, ou qui m’est due en vertu d’une assurance ou pour tout autre motif, me sera comptée à la fin du mois ; la rente française est aujourd’hui cotée 96 pour 100 et j’ai lieu de supposer que ce prix ira en augmentant ; j’ai tout intérêt à conclure mon achat dès maintenant.

Un fondeur sait qu’il recouvrera une certaine somme par les paiemens de ses cliens auxquels il a vendu des lingots de fer ou de cuivre. Il constate, d’autre part, que le cours du minerai de cuivre ou de fer est à un taux bas, et désire en profiter pour s’approvisionner : n’est-il pas heureux de se trouver en face d’un marché à terme, sur lequel il peut dès à présent s’assurer le cours de sa matière première, avant même d’avoir les deniers en main ?

Le marché à terme est souvent indispensable au producteur et à l’acheteur de marchandises pour l’empêcher de spéculer. Voici, par exemple, l’agriculteur russe, propriétaire en Podolie, qui désire vendre dès le 15 mai sa future récolte de blé à un négociant de Marseille, parce qu’il trouve satisfaisant le prix que lui offre celui-ci. Supposons que le prix soit de 20 francs le quintal métrique. Le vendeur russe devra transformer les francs en roubles, c’est-à-dire calculer combien ces 20 francs, au cours du 15 mai, représentent de roubles : supposons que la cote du papier sur Paris en Russie soit 40, c’est-à-dire que pour 100 francs on obtienne 40 roubles. Notre propriétaire sait qu’il recevra 8 roubles par quintal. Mais puisque son blé ne sera récolté qu’en août et n’arrivera