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pas comment la liqueur a besoin d’une nuit complète de repos pour devenir souverainement active. Mais elle le constate après les générations d’ignorans qui lui ont livré le secret. Les fièvres les plus rebelles sont souvent vaincues par ce consommé de citron, dont, à défaut de l’autre, les plus pauvres ne manqueront jamais en pays italien[1].

Mais le vrai remède serait l’assainissement de l’Agro. Bien qu’on discute encore sur le principe de la malaria et sur la manière dont elle se propage, il paraît hors de doute qu’elle est produite par l’humidité du sol et qu’elle se développe dès que la température dépasse 20 degrés. Or toute la campagne romaine est humide. Les sources y abondent. L’ingénieur Canevari en a compté dix mille. La plupart sont sans écoulement, et, pas plus que l’eau de pluie, ne peuvent être absorbées par la terre. Car, au-dessous de l’humus, plus ou moins profond, l’Agro est pavé d’une couche de lave ancienne, résistante aux infiltrations. Voilà autant de marais, souvent invisibles, auxquels viennent s’ajouter les grands marais d’Ostie et de Maccarese, de plusieurs milliers d’hectares, dont le vent de mer emporte les exhalaisons jusqu’au pied des montagnes[2].

Assainir l’Agro ! Ce n’est pas d’hier qu’on demande le dessèchement des marais, le drainage des terres basses, la colonisation de l’immense plateau, la culture intensive du sol, qui devient moins dangereux à remuer, dit-on, quand il est labouré tous les ans, la plantation de grands arbres qui boivent l’eau par leurs racines et laissent passer le vent sous leurs branches, l’ormeau, le pin, le laurier, l’eucalyptus. Depuis des siècles, l’idéal n’a pas changé. Et il semble que tous les moyens aient été employés, les uns après les autres, avec un égal insuccès. Les Romains, les papes, les Français pendant la conquête, le gouvernement italien depuis sa prise de possession de Rome, ont essayé de lutter contre le fléau. On ne connaît pas moins de soixante-dix-neuf dispositions législatives sur cette question, antérieures aux lois de 1878 et de 1883 aujourd’hui appliquées.

Plusieurs sont curieuses. Une première chose à noter, c’est que les papes ont aperçu et déclaré de très bonne heure que le système des latifundia, le peu de division du sol, était un des grands obstacles aux améliorations, et qu’ils ont cependant refusé toujours, malgré les plaintes de leurs sujets, malgré l’égoïsme et l’inertie

  1. Voyez Annali di agricoltura, 1884, deuxième rapport Sulla preservazione dell’ uomo nei paesi di malaria, par le professeur Tommasi Crudeli.
  2. D’autres théories, très différentes, ont été émises, notamment par M. Tommasi Crudeli. J’accepte, sans avoir aucune compétence pour l’approuver ou la contredire, l’explication qui avait guidé les auteurs des lois de 1878 et de 1883.