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tout lieu de croire que le nombre des mâles est, à la naissance, à peu près égal à celui des femelles. Les mères sont obligées de rester sur les îles jusqu’à ce que les petits soient sevrés, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de quatre à cinq mois. Mais comme elles allaitent et qu’elles n’ont aucune raison pour se soumettre à la longue diète de leurs seigneurs et maîtres, elles font, en compagnie de phoques non reproducteurs, des excursions lointaines à la recherche de nourriture. On les trouve fréquemment à 100 ou 150 milles au large des îles et quelquefois à de plus grandes distances. C’est là que les guettent les chasseurs pélagiques.

Les nouveau-nés se réunissent en petits groupes nommés pods, à peu de distance de la plage, là où le sable leur permet de s’ébattre et déjouer au soleil. Dès qu’ils peuvent se traîner, ils se dirigent sur le bord de l’eau pour y apprendre à nager. S’ils y mettent trop d’ardeur, ils se noient. Les phoques femelles atteignent leur complet développement à l’âge de quatre ans. Les mâles n’y arrivent qu’à la septième année. Si une mort précoce ne frappe les premières, leur existence est habituellement de douze ans ; la vie des mâles dans les mêmes conditions se prolonge jusqu’à l’âge de dix-huit et vingt ans, et, alors, leur poids est de 250 kilogrammes ; celui des femelles ne dépasse jamais 35 et 40 kilogrammes. Elles sont donc très inférieures en poids, en force et en pesanteur à leurs congénères mâles. C’est à l’âge de trois ans, pour les deux sexes, que les fourrures atteignent la perfection et leur plus grande beauté.

Les phoques de deux ou trois ans, ceux qu’on appelle holluschickies, sont de tous ces animaux les plus intéressans, car la beauté et la richesse de leur peau, leur célibat forcé, les vouent à une mort violente presque aussitôt après leur arrivée dans les îles. Ils y abordent lorsque les vieux bulls, déjà installés sur leurs rookeries, n’entendent pas qu’on vienne fleureter autour de leurs compagnes. Tournant sans cesse autour des harems, les holluschickies tombent au nombre de 100,000 chaque année, sous le gourdin des agens de la compagnie concessionnaire ; s’il en est de préservés, c’est parce qu’une sage réglementation empêche qu’il n’en soit abattu davantage. Les survivans errent alors tout le long des îles dans l’espoir de quelque bonne fortune ; si elle se présente, ce n’est qu’à la fin de la saison, lorsque la surveillance des mâles épuisés par un long jeûne est devenue moins active. Que de souffrances, que de rebuffades, que de coups de griffes, que de plongeons, ils doivent supporter avant que sonne l’heure de l’émigration hivernale ! Toujours aux Pribylov, le seul rassemblement vraiment important de ces amphibies, les célibataires formés en