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annuellement 100,000 animaux, chiffre qui ne devait pas être dépassé, et il en eût été sans doute ainsi pendant de longues années, si une nouvelle diminution dans l’arrivage annuel des phoques ne s’était produite. À quoi devait-elle être attribuée ? Aux ennemis qui, comme l’espadon, leur font une guerre acharnée ? Aux requins qui les happent dès qu’ils s’aventurent dans un courant d’eau chaude ? Aux insulaires des Aléoutiennes, à ceux de l’Alaska qui, depuis un temps immémorial, se nourrissent de leur chair et s’habillent de leurs dépouilles ? Le mal avait une autre origine. On sut bientôt que des navires montés par des pêcheurs provenant des ports de la Colombie anglaise, et faisant usage d’armes à feu, couraient l’Océan à la recherche des phoques et en faisaient de riches chargemens. La mer de Behring, mare clausum, longtemps respectée, fut violée par eux en 1883. Les croiseurs de la marine des États-Unis intervinrent alors, et, en 1886, trois navires de la Colombie anglaise ainsi que d’autres bateaux portant le pavillon étoile furent conduits au port américain le plus proche. Là, un tribunal les déclara de bonne prise ; capitaines et équipages subirent de la détention.

Ainsi qu’on doit bien le supposer, ces captures, coup sur coup répétées, mirent l’Angleterre hors d’elle-même ; mais, selon leur invariable habitude, les États-Unis ne s’en émurent pas. Lord Salisbury pour les Anglais, et M. Blaine pour les phoques américains, s’évertuèrent dans une correspondance volumineuse à démontrer que le bon droit n’était que d’un seul côté, le leur bien entendu. De guerre lasse, par suite d’une décision du congrès des États-Unis, il fut décidé qu’on enverrait aux Pribylov un agent spécial, M. Henry Elliot, lequel, ayant visité en 1872 Saint-Paul et Saint-George, ferait un rapport de l’état dans lequel, en 1890, il trouverait ces îles. M. Henry Elliot, de retour de son voyage, publia un lumineux rapport qui ne désarma aucune des parties. C’est alors, ainsi que je l’ai dit déjà, que l’Angleterre et les États-Unis résolurent de porter la question devant un haut tribunal d’arbitrage siégeant à Paris. Pour lui rendre la tâche plus facile, les États-Unis ont recueilli des œuvres des juristes et des économistes de tous les pays, ce qui a été pensé et écrit par eux sur le droit de propriété. Ces extraits, réunis en volume et placés sous les yeux des arbitres, ont été faits en vue de répondre en quelque sorte aux cinq questions suivantes : 1° la terre et ses productions ont-elles été données dès l’origine du monde en commun aux hommes ? 2° l’institution de la propriété, et spécialement celle de la propriété privée, n’a-t-elle été créée que pour satisfaire aux nécessités sociales de l’homme ? Ces nécessités ne