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accoutumé aux montagnes et qui avait plus d’instinct que moi pour éviter de se précipiter. Nous fîmes douze verstes ainsi et nous trouvâmes heureusement un village tartare où le cuisinier de M. Ribas nous prépara un très bon souper. Les Tartares nous reçurent avec la plus grande hospitalité. L’on trouve, chez tous, des divans avec des coussins très propres. Après avoir dormi tout habillés, nous nous mîmes en route à quatre heures du matin. Pendant que l’on préparait les chevaux, j’allai de maison en maison pour tâcher de voir quelques femmes, mais dès que j’approchais, sur-le-champ la maison se fermait. J’en surpris cependant une qui était à faire de la toile. Sa figure, qu’elle cacha vite, me parut assez jolie ; elle avait les cheveux frisés et peints comme ceux des femmes turques.

« Nous avions passé les hautes montagnes et nous entrions dans un très beau pays. Après avoir passé plusieurs belles vallées, nous arrivâmes au cap Parthéniza qui est à Ligne. Il était trop fatigué pour aller plus loin ; je le laissai avec des Albanais qui gardent la côte et dont l’un lui servit d’interprète, et, avec M. de Ribas, je continuai ma route jusqu’au Massoudre qui m’avait été donné. Le pays s’embellit à chaque pas que l’on fait depuis Parthéniza, et, si jamais Iphigénie desservit le temple qui était au cap, elle allait sûrement souvent au Massoudre qui est le plus beau lieu des environs. Les jardins de Massoudre sont baignés par la mer et s’élèvent en amphithéâtre jusqu’à 200 toises au-dessus de son niveau que se trouve le village, autrefois considérable, mais dont toutes les maisons sont abandonnées. Les jardins, ou plutôt les vergers, continuent encore en s’élevant à 100 toises perpendiculaires toujours en pente jusqu’au tiers de la montagne que l’on trouve des terres labourables, des prés, et, plus haut, des arbres de toute espèce entremêlés de rochers qui couronnent la montagne de la manière la plus pittoresque et majestueuse. Les plus belles eaux en sortent de toutes parts et vont donner à toutes les maisons de quoi arroser les beaux vergers qui les entourent. L’arbre le plus commun est le noyer. Ils sont, la plupart, assez gros pour que quatre hommes ne puissent les embrasser ; jamais je n’en ai vu autant ni de si gros ; les cerises, les prunes, les poires et pommes y abondent. L’on y trouve des figuiers, des mûriers, des oliviers, des grenadiers. Je n’ai vu dans aucun pays la nature plus vivace. Les vergers de ce pays doivent donner une idée des jardins d’Éden ; la nature y est superbe. J’y ai choisi un lieu charmant où je vais faire bâtir un kiosque. C’est là où, lorsque j’aurai cessé d’être, je désire être porté. J’y serai à jamais près de la mer que j’aime dans un lieu bien délicieux.

« Après avoir pris toutes mes dispositions pour tirer parti de ce