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Mais voilà que, le lendemain, une occasion imprévue s’offre au prince de Nassau de faire parvenir son courrier à sa femme par une voie tout à fait sûre. C’est un Polonais de leurs amis qui, venu en Crimée pour ses affaires, se voit obligé de repartir le jour même pour Varsovie. Le prince n’a que le temps de lui confier, tel qu’il est, le journal que nous venons de lire et qu’il a commencé en entrant en Crimée : « J’apprends que X… va partir. Je n’ai pas le temps de vous écrire, mais il vous portera ce que j’écrivais, tous les soirs, à moitié endormi. Je partirai toujours de Pultawa, et je serai à vos pieds dans les premiers jours de juillet. Tâchez que je puisse vite partir pour où vous savez ; mais je crois qu’il faudra que je passe par Paris pour causer avec Montmorin et voir le nouveau ministre des finances, l’archevêque de Toulouse, que vous connaissez. Adieu, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. »


Pultawa où le prince de Nassau, — à ce qu’il vient d’écrire, — prendra congé de l’impératrice, devait être effectivement la dernière étape de cette partie du voyage de Catherine dont le prince Potemkin s’était plus spécialement réservé la direction. Comme couronnement à la longue ovation qui, depuis Krementchul, saluait le passage de la souveraine à travers ses conquêtes si récentes, lui ménager la revue d’une véritable armée où vainqueurs et vaincus d’hier confondraient leurs acclamations, et, cela, sur le champ de bataille, cher à la Russie, où Charles XII avait été arrêté par Pierre le Grand ; l’imagination de l’organisateur de ce féerique triomphe n’aurait pu vraiment trouver mieux !

Nous n’avons pas à demander ici à d’autres lettres du prince de Nassau ce que signifie cet « où vous savez » que la faveur dont il jouit ne lui fait pas oublier ni où il a si grande hâte de pouvoir se rendre, après être passé par Varsovie. Hâtons-nous donc de revenir à la suite de son récit, puisque le soir même du jour où il s’est dessaisi de la première partie de son journal, il s’est empressé d’en commencer une seconde.


« Ce 3 juin (nouveau style).

« La journée de Sévastopol n’eut rien d’intéressant. L’on suivit l’impératrice à bord de l’escadre. Elle visita le port et, le soir, on bombarda un petit fort construit exprès et auquel on mit le feu à la sixième bombe ; il était plein d’artifices et un fit bel effet. L’empereur parla à l’impératrice des nouvelles qu’il avait reçues des Flandres.