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assister à ce tournoi pacifique entre nobles et vilains. Trop de zèle ! Jamais déconfiture ne lut plus lamentable. L’élégant pavillon réservé à la colonisation libre était à peu près vide ; en revanche, les hangars destinés à la colonisation pénale étaient bondés de produits variés et remarquables. Il fallut bien se rendre à l’évidence et accepter la « leçon de choses » qu’on avait provoquée soi-même ; elle prouvait, par un argument sans réplique, que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie est intimement lié à celui de la colonisation pénale.

Et nunc erudimini. Cela vaut la peine qu’on y réfléchisse et que l’on consente à voir ce qui crève les yeux, c’est-à-dire qu’on a fait fausse route en assimilant une colonie pénitentiaire à une colonie quelconque, peuplée d’émigrans ordinaires ; qu’on s’est trompé lourdement en négligeant ou en combattant l’œuvre de la régénération des criminels.

C’est cependant grâce à elle, — on ne saurait trop le redire, — qu’en moins d’un demi-siècle on a fait de cinq ou six cabanes de pêcheurs perdus au fond d’un golfe la superbe capitale de Victoria, Melbourne, qui compte aujourd’hui quatre cent mille habitans. En employant une méthode analogue, ne pourrions-nous pas, nous aussi, de cette petite île qui figure sur les atlas soulignée d’un trait bleu ou rouge, créer, — toutes proportions gardées, — une seconde Australie ?

Je pense avoir prouvé que nous possédons tous les élémens de succès ; il ne nous manque, pour les mettre au point, qu’un peu d’énergie et la volonté d’accomplir quelques réformes. Et c’est pourquoi, lorsqu’on a vu les choses de près, on ne saurait s’empêcher d’enrager en pensant qu’il faudrait relativement peu de temps pour qu’une ville florissante prît la place de ce village très laid, mais admirablement situé, appelé Nouméa, dont les édifices publics sont des cabanes, et dont les maisons, couvertes de zinc, jetées comme au hasard, ressemblent, comme on l’a dit, « à des boîtes à vermout ; » pour donner de la vie à son magnifique port ; pour voir s’élever des usines au milieu des landes que parcourent, seuls, les troupeaux sauvages… Voilà qui serait fait pour procurer à notre commerce d’immenses avantages, résultat assurément digne de tous les efforts. Mais l’épanouissement de ce beau pays aurait une conséquence d’une portée bien plus haute encore : je veux parler de notre influence politique et de notre puissance militaire.

Actuellement, notre marine ne possède plus en Océanie un seul port où elle puisse ravitailler et réparer ses vaisseaux : une hélice vient-elle à se fausser, une pièce de machine à se briser, il faut