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seconder d’une façon intelligente le développement de la colonisation pénale et à empêcher le drainage de l’argent français par nos bons voisins les Australiens. J’aborde le second point : la question si intéressante des enfans.

Il me paraît, dans mon modeste bon sens de voyageur impartial, que l’État est resté de ce côté fort au-dessous de sa tâche. Ce qu’il a fait pour les garçons est rudimentaire, et il n’a rien fait pour les filles.

À quelques kilomètres de Bourail, dans le voisinage de trois petites tribus canaques qui n’ont pas, comme les autres, émigré vers le nord, on a construit un bâtiment assez vaste auquel on a donné le nom un peu ambitieux de « ferme-école. »

L’établissement est placé sous la direction de frères maristes[1] ; on ne songe pas à le laïciser pour beaucoup de raisons dont la meilleure devrait être ce mot si juste de Gambetta, « nous ne faisons pas d’exportation ; » mot que le clergé semble s’être approprié, car évêque et missionnaires font, là-bas, très bon ménage avec la république, bien que n’étant pas vis-à-vis d’elle placés sous le régime du concordat.

On y reçoit la progéniture mâle « d’origine pénale » à partir de six ans et jusqu’à seize ans. Lorsque j’ai visité la ferme-école de Néméara, elle comptait environ soixante-dix pensionnaires, et c’était, paraît-il, un beau chiffre. Comme je m’étonnais de la modicité de cet effectif :

— Que voulez-vous, me dit le frère directeur, nous ne pouvons agir que par persuasion et n’avons aucun moyen d’obliger les concessionnaires à nous confier leurs fils.

Ce respect pour la puissance paternelle m’a paru, je l’avoue, très intempestif. On fera difficilement comprendre à qui n’est pas légiste de profession ou bureaucrate que des individus privés de leurs droits civils et politiques demeurent en pleine possession de la plus sacrée peut-être de toutes les prérogatives : l’autorité du père de famille. Mais écoutez ceci, qui est mieux. La loi sur l’instruction obligatoire force tous les parens français à envoyer leurs enfans à l’école : seuls les forçats concessionnaires sont dispensés d’y obéir, — parce que ladite loi n’a pas été promulguée en Nouvelle-Calédonie. Peut-on concevoir chinoiserie administrative à la fois plus absurde et plus dangereuse ?

Revenons à Néméara.

Les enfans, proprement vêtus d’un uniforme de toile à petites

  1. Ces frères ont passé un contrat avec l’État : ils entretiennent et nourrissent les enfans à forfait.