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villégiature sur les bords du lac de Lugano, il rencontra une jeune fille dont il reconnut la voix pour l’avoir entendue deux fois dans un rêve. Ce détail indique déjà quel sera le diapason de l’œuvre. Miss Violette Yves, qui connaît ce compagnon de hasard pour avoir admiré un de ses poèmes, partage bientôt l’enthousiasme qu’elle inspire. Mais elle n’est pas libre, elle est fiancée à un excellent homme, qu’elle estime sans l’aimer ; son mariage répond aux désirs des deux oncles qui l’ont élevée ; de plus, elle a dans son passé de précédentes fiançailles déjà rompues, et des fiançailles où tout son cœur s’était donné : elle ne veut pas faire parler d’elle une seconde fois, elle n’est pas même sûre de pouvoir encore aimer comme elle a aimé. Ajoutez qu’elle souffre d’une légère infirmité, une attaque de paralysie l’ayant frappée au côté gauche, et qu’elle est d’une santé toujours menacée. Pour toutes ces raisons, elle s’arrache au sentiment qui l’attire, et disparaît après de rapides adieux. Celui qui l’aime ne perd pas l’espérance : il découvre, grâce aux renseignemens d’une voisine de table d’hôte, que miss Yves, qui en ce moment voyage en Italie avec un de ses oncles, habite Nuremberg ; et quand il l’y suppose de retour, il va l’y chercher. Il la retrouve, elle continue à le repousser tout en l’aimant. Mais, servi par le hasard et par la sympathie d’une fillette de seize ans qui a l’intelletto d’amore, il réussit à faire savoir au fiancé de Violette que miss Yves se sacrifie à son engagement et s’obstine à tenir contre son cœur une parole qu’elle avait donnée lorsque son cœur était encore libre. Le fiancé, le professeur Topler, est un trop galant homme pour vouloir s’imposer dans de telles circonstances : il se retire. Comme Violette l’avait prévu, cette rupture la fâche avec ses oncles. Obligée de quitter leur maison, elle se réfugie auprès d’amis, qui sont fixés à Rüdesheim. C’est là que son mariage doit s’accomplir, et qu’il s’accomplit en effet ; mais la rencontre subite de son premier fiancé, qui s’est remis à la poursuivre, provoque la nouvelle attaque qui la menaçait sans cesse : et elle meurt le soir même de ses noces, dans le train qui l’emportait.

Une telle analyse est tout à fait impuissante à donner l’idée d’un livre dans lequel les faits sont de peu d’importance. Que peuvent signifier les faits dans un roman d’amour ? Ils sont toujours à peu de chose près les mêmes : la vieille histoire qui reste toujours nouvelle, comme dit le poète. C’est de la seule intensité des sentimens exprimés que dépend l’intérêt. L’intrigue du roman de M. Fogazzaro n’est ni meilleure ni pire que beaucoup d’autres : elle a l’avantage de nous promener dans des lieux poétiques, favorables aux descriptions et aux clairs de lune ; elle met en scène des figures de