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il accepta donc de modestes fonctions dans l’administration municipale de sa ville natale. Le soin de ces fonctions a sans doute contribué, dans la suite, à retarder ses travaux littéraires, car en notre époque de production si active, les six volumes qu’il a publiés jusqu’aujourd’hui semblent une œuvre bien restreinte.

Le premier de ses romans, Malombra, passa presque inaperçu au moment de sa publication. Il devait avoir dans la suite un regain de succès assez vil pour qu’un critique le saluât comme « l’œuvre d’art la plus forte et la plus belle… qui soit apparue en Italie depuis les Fiancés[1]. » En réalité, c’est là un enthousiasme dont il faut un peu rabattre, car le premier roman de M. Fogazzaro, quelque intéressant qu’il soit d’ailleurs, a les défauts d’un premier roman : c’est un livre trop long, trop touffu, trop complexe, dans lequel l’auteur a jeté trop de choses, comme s’il avait voulu manifester toute sa personnalité dans une seule œuvre qui va de l’humour au tragique, du blasphème à la sainteté. Deux ou trois intrigues parallèles se développent autour de l’étrange figure de dona Marina, une fantasque jeune fille que de mystérieux liens rattachent à une aïeule morte folle après de coupables amours. La malheureuse, après la mort de ses parens qui l’ont laissée sans fortune, est venue habiter chez son oncle, le comte César d’Ormengo, qui lui inspire une insurmontable antipathie. Une nuit, elle trouve dans une cachette de sa chambre une boucle de cheveux, un gant et un miroir, avec un court manuscrit. Ce manuscrit est le dernier cri de désespoir qu’ait poussé dona Cécilia Varenga, femme du comte Emmanuel d’Ormengo, dans la réclusion où la jalouse rancune de son mari lui faisait cruellement expier un sentiment qui l’avait offensé, fille y rappelait, en termes obscurs, les souvenirs de sa passion, et terminait en demandant vengeance contre son bourreau : « Toi qui retrouveras et liras ces paroles, disait-elle, reconnais en toi mon âme malheureuse ! » Affolée par cette lecture, Marina s’imagine qu’elle a en effet hérité l’âme douloureuse de Cécilia, et que son existence est condamnée à reproduire les phases principales de celles de son aïeule. Elle croit alors reconnaître en son oncle César le mari de Cécilia, et bientôt, retrouver son amant de l’autre vie en la personne d’un jeune écrivain, que protège le comte d’Ormengo, Corrado Silla. Elle se prend pour lui d’un amour à base de haine, que Corrado serait prêt à partager, mais qui l’effraie, auquel il résiste, car il n’y croit reconnaître qu’une passion mauvaise et, dans sa lutte, il est soutenu par le chaste sentiment que lui inspire une autre jeune fille,

  1. G. Scotti. Romanzi et Romanzieri, Casalbadino, 1889.