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il s’est ouvert aux préoccupations psychologiques, que MM. Verga et Capuana, d’ailleurs, avaient toujours conservées ; puis aux préoccupations morales, inséparables de celles-ci ; puis aux préoccupations métaphysiques. Quelques-uns des chefs du mouvement vériste ont même été des premiers à entrer dans la voie nouvelle : M. Capuana s’est intéressé au spiritisme, tout comme M. Léon Hennique et avec plus de naïveté que M. J.-K. Huysmans. Les nouveaux-venus, qui étaient partis en campagne sur les traces de leurs aînés, se sont mis à chercher une forme d’art moins dogmatique et plus large, et quelques-uns d’entre eux, M. F. de Roberto ou M. G. d’Annunzio, se sont ainsi taillé de rapides succès. En sorte que, le succès du vérisme étant épuisé, on voit reparaître l’idéalisme, par une oscillation d’ailleurs naturelle de l’invisible balancier qui règle les mouvemens de la pensée. La renaissance de l’idéalisme est aujourd’hui le fait saillant de la littérature, du roman surtout, au-delà des Alpes aussi bien qu’en-deçà, un fait que ceux-là mêmes qui le déplorent sont forcés de constater. Ces mouvemens de la pensée ou ces caprices de la mode sont toujours le résultat de tendances générales, et, si j’ose dire, l’œuvre collective du public. Personne ne niera cependant que certaines individualités contribuent, dans des proportions difficiles à déterminer, à les former ou à les imposer : il est évident, par exemple, que la personne de M. de Goncourt et celle de M. Zola ont contribué pour une part très large au succès du naturalisme, et que la personne de M. de Vogué a contribué pour une part qui n’est pas moindre à la renaissance de l’idéalisme. En Italie, le même phénomène s’est produit. MM. Verga et Capuana ont joué un rôle qui correspond assez exactement à celui de MM. de Goncourt et Zola. Et c’est, non pas un essayiste à vues d’historien, mais un romancier, poète à ses heures, M. Antonio Fogazzaro, qui est aujourd’hui le représentant le plus autorisé de l’évolution idéaliste, dont il a été aussi l’initiateur. C’est à ce titre qu’il nous a paru mériter d’être étudié ici : d’autant plus que son œuvre, peu volumineuse, mais très variée, présente en beaucoup de ses parties un très vif intérêt, et que l’intelligente et fidèle traduction de M. A.-M. Gladès vient d’offrir aux lecteurs français le meilleur peut-être de ses romans, le Mystère du poète : celui, en tout cas, qu’il a tiré le plus directement de son propre fonds, et celui dans lequel il a le plus librement exprimé sa personnalité intellectuelle et morale.


I

M. A. Fogazzaro approche de la cinquantaine. C’est un homme de taille moyenne et bien prise, aux cheveux épais grisonnant à