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indiennes, les jurisconsultes ont fait admettre que pour elles la possession valait titre. Malgré cela, les villages indiens, qui se considèrent comme propriétaires de toutes les terres vagues les entourant, sont le point de mire de ces sociétés et ils succombent généralement sous leurs artifices. Dans plusieurs États, leurs agens ont été assassinés et les compagnies ont dû renoncer à leurs opérations. Ailleurs, l’appui plus énergique des pouvoirs publics leur a permis de les continuer ; mais une profonde irritation à leur sujet règne dans l’opinion. Elle se manifeste peu au dehors ; car ces faits se passent dans des campagnes reculées et un petit nombre de journaux indépendans en parlent seuls de temps à autre.

Quant à la colonisation des terres entrées par ces procédés dans le domaine public, elle a été jusqu’à présent fort lente. Les concessions gratuites de 100 hectares, faites à l’imitation et avec les conditions de résidence de l’homestead américain, ne sont pas pratiques. Un cultivateur étranger isolé est écrasé dans ce pays, où malgré les progrès réalisés au point de vue de la sécurité matérielle, beaucoup reste abandonné à la propre défense individuelle.

Les compagnies de délimitation, en se transformant en compagnies de colonisation, peuvent obtenir, pour des prix purement nominaux, d’immenses étendues de terres en sus du tiers auquel elles ont droit. Jusqu’à présent, elles ont très peu fondé de villages. Leur but est surtout d’accaparer des terres et d’en faire matière à spéculation. Quant à la fondation directe de villages par le gouvernement, l’expérience de l’Algérie nous donne peu de confiance dans les succès dont se vantent les rapports officiels.

Ils nous apprennent qu’en 1887 dix-neuf colonies avaient été fondées soit par le gouvernement[1], soit par des compagnies, principalement dans les États du Nord. Depuis lors, il s’en est créé de nouvelles : récemment, le gouvernement a vendu à un capitaliste mexicain, don Rafaël Dorrantes, 300,000 hectares de terres très riches, dit-on, dans les États de Tabasco et de Chiapas au prix de 1 piastre l’hectare, payable en cinq annuités en titres de la dette publique, et à charge d’établir une famille de colons par 200 hectares.

La colonisation vraiment féconde se fait d’elle-même ou par l’action de spéculateurs qui n’ont pas besoin de faveurs gouvernementales. C’est ainsi que le Nord-Ouest des États-Unis a été peuplé, que le Sud-Ouest est en voie de l’être aujourd’hui. Mais les États-Unis demeurent toujours le pays où la famille de robustes

  1. Parmi les colonies de cette catégorie, la plus intéressante est la colonie de l’Ascension dans l’État de Chihuahua, formée avec 2,294 Mexicains des provinces cédées aux États-Unis en 1847.