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voisins comme des usurpateurs de leurs anciens domaines. C’est faux dans la plupart des cas ; mais les déclamations des aztécomanes ne laissent pas d’arriver jusqu’à l’oreille des intéressés. Ce sentiment se traduit par des déprédations répétées dans les bois et dans les troupeaux des grands propriétaires ; il aboutit rarement à des crimes contre les personnes, à moins que les agens de ceux-ci ne se montrent trop durs.


V

La grande, la très grande propriété s’est développée au Mexique sous la domination des Espagnols et aussi depuis l’indépendance dans des proportions qu’on ne rencontre en aucun autre pays. Au lendemain de la conquête, les rois d’Espagne constituèrent au profit des conquistadores des bénéfices viagers qui leur donnaient droit aux services coutumiers des Indiens d’un certain territoire. Dans le cours de vingt années on vit se dérouler des événemens analogues à ceux qui, en France, sous les Mérovingiens, rendirent les bénéfices héréditaires et les transformèrent en fiefs. Une propriété viagère ne sera jamais considérée comme une vraie propriété ; elle ne répond pas au sentiment qui attire l’homme à la possession de la terre. Aussi, malgré sa toute-puissance, Charles-Quint, en 1542, dut reconnaître aux encomiadores le droit de transmettre leurs domaines à leurs descendans.

En outre, la Couronne avait à sa disposition d’immenses espaces inoccupés. Les vice-rois en firent des concessions très étendues, au profit de particuliers ou d’établissemens religieux, concessions qu’il fallait en principe faire confirmer par le Conseil des Indes. Après l’indépendance, les États entre lesquels la souveraineté fut partagée continuèrent à faire des concessions de ce genre sans aucun contrôle. C’est l’origine des immenses propriétés que l’on trouve dans le Nord et aussi dans la partie du territoire de la République qui a été cédée aux États-Unis en 1847. Ces titres sont sujets à bien des contestations et les personnes qui achètent des domaines au Mexique ne sauraient se passer de l’assistance de légistes expérimentés et honnêtes.

La désamortisation des biens ecclésiastiques n’a pas, nous l’avons dit, changé cet état de choses : ils ont été achetés par des spéculateurs au lieu d’être morcelés.

Il y a des haciendas grandes comme un département français. Celles de la taille d’un de nos arrondissemens sont nombreuses. Quand elles sont situées sur les versans de la table centrale, elles comprennent souvent à la fois des tierras frias, des tierras