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sable du vêtement européen, une grande démarcation sociale subsiste. Les Espagnols s’appelaient autrefois eux-mêmes, par opposition aux indigènes, les gente de razon. Aujourd’hui, les citoyens qui portent un pantalon sont des gente décente, et une foule de privilèges sociaux leur sont attribués en conséquence. Aussi dans quelques États a-t-on imaginé d’imposer aux Indiens le port du pantalon, estimant que toutes ces distinctions surannées s’effaceraient et que les manufactures marcheraient d’autant mieux. Malheureusement c’est un vêtement coûteux, et l’on n’a pas fourni en même temps aux pauvres Indiens les moyens de l’acheter. Ceux qui réussissent à s’en procurer un cherchent à le faire durer toute leur vie. Ils le portent soigneusement plié sous le bras et ne le mettent qu’aux portes de la ville, pour ne pas être jetés en prison par les gendarmes et les agens de police qui les traitent avec autant de brutalité que d’arbitraire.


IV.


La question vitale pour l’Indien est la question de la terre. Cela peut paraître étrange dans un pays où la densité moyenne de la population est de 5 habitans par kilomètre carré ; elle atteint 30 à 35 dans les États de Puebla, de Mexico, d’Hidalgo, de San-Luis de Potosi qui ont de grandes villes, pour redescendre à 13 et à 10 dans le Jalisco et le Michoacan et à 1, 8 dans le Tamauhpas et le Campêche. Un coup d’œil rapide sur l’histoire de la propriété foncière est nécessaire pour s’en rendre compte.

Les Espagnols trouvèrent, là où l’irrigation était possible, des groupes agricoles très denses qui cultivaient la terre sous un régime de propriété villageoise collective, analogue à celui qui existe dans une grande partie de la Russie. Les terres fêtaient réparties entre les habitans moyennant des redevances payées les unes à la communauté, les autres aux caciques, seigneurs du territoire. Ceux-ci, outre leur pouvoir sur la personne de leurs sujets, possédaient à titre privé et héréditaire des domaines qu’ils louaient par parcelles aux habitans des villages voisins. Les seigneurs indiens disparurent, les uns ayant été exterminés, les autres, en plus petit nombre, s’étant fondus avec les grands propriétaires espagnols. La Couronne se trouva hériter de leurs droits coutumiers et de leurs propriétés ; car, par le fait de la conquête, le domaine éminent de toutes les terres lui appartenait.

D’immenses espaces étaient d’ailleurs inoccupés, les indigènes n’ayant pas de bétail. Le pâturage des terres vagues, qui existe en Europe dès l’origine de l’histoire et a eu une si grande importance