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animaux domestiques, chevaux, bœufs et moutons, les compensa largement dans l’ensemble[1]. L’aztécomanie actuelle n’est, au fond, qu’une arme de guerre aux mains d’un parti pour rendre le clergé odieux dans le passé, et exciter contre les grands propriétaires les défiances des communautés villageoises indiennes.

Vraisemblablement, sur bien des points, la condition des Indiens a empiré pendant les longues révolutions qui ont désolé le Mexique ; la suppression du régime des presidios et des missiones leur a enlevé une tutelle qui leur était nécessaire et a amené une décadence morale dont leur état économique se ressent.

M. Romero, ministre des finances du Mexique pendant de longues années, a publié, dans la North american Review de janvier 1892, un tableau par État du maximum et du minimum des salaires agricoles qui peut se résumer ainsi :

Dans la région touchant les États-Unis et là où il y a des mines, dans la Sonora, la Basse-Californie, le Cohahuila, les salaires maxima montent à 75 centavos (sous) et à une piastre par jour. En dehors de là, le maximum de salaire est de 37 1/2 à 50 centavos ; le premier chiffre de 37 1/2 est celui qu’on peut prendre comme la moyenne pour les parties riches du pays ; mais les salaires minima, qui sont les plus fréquens dans l’ensemble, varient entre 18 3/4 et 25 centavos ; la nourriture n’est pas fournie à l’ouvrier qui les reçoit. Voilà les trois chiffres qui donnent une idée de la condition des travailleurs agricoles au Mexique[2].

Étant aussi peu payés, ils ne peuvent avoir qu’une condition très misérable ; ils ne trouvent pas en effet dans le bon marché de la vie une compensation suffisante à des salaires si bas.

Les objets importés d’Europe, tout ce qui est luxe, est plus cher au Mexique que partout ailleurs ; cela touche peu les Indiens : mais les produits du pays susceptibles d’être exportés, le café, les peaux, la laine, le tabac, ont haussé incontestablement de prix sans que les salaires aient augmenté ; la consommation que pourraient en faire les travailleurs est donc arrêtée. Quant aux alimens, le maïs, les garbanzos (pois chiches) et les frijoles (haricots)

  1. Des savans mexicains attribuent au pacage des moutons la destruction des forêts qui existaient autrefois sur le plateau de l’Anahuac. Ils font remarquer qu’au temps de la conquête la vallée de Mexico était recouverte presque complètement par des lacs, dont le niveau a depuis lors baissé considérablement. Si la cause en est réellement celle qu’ils indiquent, ce serait un exemple frappant des perturbations que l’intervention de l’homme apporte parfois dans l’équilibre des forces de la nature, sans qu’il s’en doute.
  2. Les chemins de fer commencent à faire sentir leur effet sur les salaires. Sur leur parcours, le salaire agricole s’est élevé généralement à 37 centavos.