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extraordinairement robuste, et qu’on ne soit soutenu par la passion de son art.

Lorsque le grand mouvement des échanges intimes qui caractérise les ardens n’aboutit pas à se décharger sur les muscles, il est obligé de se dépenser intérieurement dans le cerveau et les organes ; de là ces passions brûlantes et concentrées que l’on rencontre surtout dans le Midi ; ces colères refoulées à l’intérieur qui attendent pendant des années l’occasion de se satisfaire ; cet esprit vindicatif qui consume intérieurement et couve comme le feu sous la cendre :


Non sanguine and diffusive he,
But biliary and intense,


dit Carlyle.

En face des obstacles, les ardens ne sont pas hommes à céder, ayant toujours besoin de décharger leur énergie. Le courage de tempérament, — nous ne disons pas de raison et de caractère, — vient souvent de là. Il est dû, pour les neuf dixièmes, à la nature, et prend diverses formes selon les constitutions, mais il suppose toujours un ton élevé du système nerveux et une direction désintégrative plutôt qu’intégrative. Exhorter un homme naturellement lâche à être courageux, dit Bain, c’est perdre ses paroles. Vous pourrez bien, dans une circonstance donnée, l’animer en lui montrant qu’il n’y a aucun danger, et surtout en prenant vous-même un air d’assurance contagieuse, mais, dans le fond, il aura toujours peur. Chez les animaux, le courage est une qualité de nature, liée surtout au tempérament dépensier et moteur qui est la caractéristique des mâles.

En face des autres hommes, les ardens peuvent être enclins au despotisme. Il existe ce que Maine de Biran, songeant à Bonaparte, appelait des « despotes de nature, » qui, forts du sentiment qu’ils ont de leur grande « puissance radicale ou de tempérament, » dédaignent tous les moyens indirects d’agir sur leurs semblables : ils ne veulent ni convaincre l’intelligence, ni gagner le cœur ; ils fascinent et maîtrisent, c’est l’animal qui parle à l’animal et le jette à ses pieds ; dans tout tyran, il y a un dompteur. « Les genoux fléchissent naturellement lorsque le cœur se tait et se révolte ; les ordres sont exécutés sans que l’esprit et la volonté aient part à l’exécution. » Ainsi parlait le sous-préfet de Bergerac, qui devait bientôt, courageusement, signer avec Laîné l’adresse des cinq. Il avait, lui, le courage du nerveux et du cérébral, fait d’idées et de sentimens intérieurs, non de force explosive.