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l’air, l’air avec les paroles. Mon émotion était au comble, mes cheveux se hérissaient. J’étais agité d’une fièvre ardente, puis une abondante sueur ruisselait de mon corps, puis je m’attendrissais et des larmes me coupaient la voix. » — Écoutez Goethe lui-même, à qui l’on a fait une réputation de sérénité olympienne et même d’insensibilité, écoutez-le raconter comment il écrivait, dans le feu de l’inspiration poétique : — « Je courais quelquefois à mon pupitre sans prendre la peine de redresser une feuille de papier qui était de travers, et j’écrivais ma pièce de vers depuis le commencement jusqu’à la fin, en biais, sans bouger. À cet effet, je saisissais de préférence un crayon, qui se prête mieux à tracer des caractères, car il m’était quelquefois arrivé d’être réveillé de ma poésie de somnambule par le cri ou par le crachement de la plume, de devenir distrait et d’étouffer à sa naissance une petite production. » Mozart enfant avait une telle sensibilité auditive que le son d’une trompette lui donnait des convulsions. À chaque instant du jour, il disait aux personnes qui l’entouraient : M’aimez-vous bien ? et une réponse négative l’affligeait beaucoup. Sa physionomie extrêmement mobile, jamais en repos, exprimait sans cesse la peine ou le plaisir. Depuis l’âge de trois ans, il fallut le surveiller pour qu’il ne s’oubliât pas au clavecin. Ce passionné était incapable de gouverner ses affaires et eut toute sa vie besoin d’un tuteur.

L’excès dans les émotions et leur disproportion à leur cause implique un manque d’équilibre dans les actions constructives et destructives du système nerveux. Grétry ne pouvait sentir l’odeur des roses sans en être malade. La femme d’un apothicaire tombait en syncope à l’odeur de l’ipécacuanha. Hippocrate parle d’un certain Nicanor qui s’évanouissait au son d’une flûte. Il faut bien distinguer cette surexcitation morbide d’avec la sensibilité normale et régulière, qui tient à la qualité et à l’abondance du sang. Sanguis moderator nervorum. Quand le système nerveux est trop surexcité, il s’affaiblit, et plus il s’affaiblit, plus il est surexcitable. Voilà le cercle vicieux où se débat le nervosisme : la « banqueroute physique » est au bout.


V

Le tempérament actif est celui qui a tout ensemble la capacité et le besoin d’une grande dépense nerveuse et musculaire. Cette dépense étant une décomposition du protoplasme en élémens plus simples, le tempérament actif est celui qui est en prédominance de désintégration et qui peut suffire à ses dépenses. Selon que cette désintégration est rapide et intense, ou, au contraire, lente et