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agréable. Par exemple, une trop vive lumière blesse la vue, un son trop fort blesse l’oreille, une pression excessive, un coup, une blessure produit une perturbation violente, etc. La douleur correspond donc d’ordinaire à un degré d’intensité plus grand que le plaisir. Il y a sans doute aussi des peines qui naissent simplement d’un manque ou d’un besoin, et qui sont négatives. Mais ces sortes de peines, dans la vie de chaque jour, sont généralement moins fortes et moins fréquentes que les autres. Les plus vives de ce genre sont peut-être la faim et la soif, qui n’arrivent qu’exceptionnellement à produire des douleurs intenses. C’est donc l’usure excessive du système nerveux par des vibrations violentes qui cause les douleurs les plus vives et les plus tranchées. Dès lors, celui qui vit d’émotions, et d’émotions fortes, aura plus de chances d’avoir à la fin des souffrances que des plaisirs.

Ce n’est pas tout encore. Comme les sensations les plus vives sont celles qui s’associent le plus aisément entre elles, il en résulte que les souvenirs douloureux sont, toutes choses égales, plus faciles à réveiller et plus intenses que les souvenirs agréables. Un homme en pleine possession de ses forces, comme le sanguin, aura assez d’énergie pour faire affluer les courans nerveux dans les directions agréables et pour réagir contre tout ce qui le détournerait de cette voie ; mais, pour peu qu’il y ait dépression du système nerveux, cette dépression même étant déjà, accompagnée d’un vague sentiment de malaise, ce seront les idées de même nuance qui tendront à s’éveiller, c’est-à-dire les idées grises ou noires. En outre, le courant nerveux déprimé prendra la pente la plus facile, vers les souvenirs des sensations les plus intenses, qui précisément ont été en général des peines. L’individu se déprimera donc de plus en plus, et le champ de sa conscience ira s’assombrissant. « Une expérience vieille comme le monde, dit BL Ribot, prouve que les sensitifs souffrent plus d’un petit malheur qu’ils ne jouissent d’un grand bonheur. » On en voit maintenant les raisons. Mais cette loi ne s’applique pas, selon nous, à tous les sensitifs, ni même à tous les nerveux ; elle s’applique seulement aux nerveux dont la sensibilité est devenue excessive et dont l’activité vitale est faible. Quand cet état de déséquilibre est habituel, il en résulte que les nerfs se trouvent toujours disposés aux vibrations pénibles plutôt qu’aux agréables. En outre, la forme même et le rythme des vibrations étant altérés, on a des discordances au lieu d’harmonies, conséquemment encore une prédominance des sentimens pénibles sur les sentimens agréables.

C’est la conscience de leur tempérament dépressif qui fait que les nerveux alanguis et mélancoliques voient partout des difficultés,