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l’ancienne, si bien que la rapidité du premier changement aura son corrélatif dans la rapidité d’un changement nouveau. Ainsi s’explique, chez les sensitifs à réaction trop prompte et trop peu intense, la mobilité des sentimens, qui a elle-même pour conséquence de rendre ces sentimens superficiels. Ils n’ont pas le temps de pénétrer l’être tout entier, d’éveiller de proche en proche leurs harmoniques, de se propager ainsi au loin et de communiquer leur ébranlement à toute la masse. C’est là, selon nous, la véritable explication de la « légèreté. » Il y a toujours, chez le sanguin pur, quelque chose qui rappelle l’enfance et la jeunesse. L’enfant, ayant surtout besoin de croître, a un tempérament en prédominance d’intégration : son teint rosé, sa peau blanche et ses cheveux blonds en sont des signes visibles ; il est donc avant tout sensitif. De plus, sa réaction est prompte, peu profonde et peu durable. Le tempérament sanguin est le tempérament normal de l’enfance.

Les autres traits classiques du type sanguin se déduisent des précédens. La vivacité de l’impression actuelle, jointe au peu de profondeur et de durée dans la réaction, fait que l’homme au « sang léger » vit surtout dans le présent. En quoi il ressemble encore à l’enfant et au jeune homme. Le passé est vite oublié ; quant à l’avenir, il exigerait, pour être représenté dans l’esprit, une réflexion trop longue et comme une fixation de ces sentimens qui vont trop vite. Par rapport à l’avenir, l’attitude ordinaire du sensitif prompt et peu profond est plutôt l’espérance, quoique son premier mouvement puisse être un excès de crainte. Oublieux du passé, le sanguin est debout aussitôt qu’abattu, mais c’est par tempérament, non par « caractère. » L’espoir courageux qui se relève toujours au nom de la raison et de la force morale est bien plutôt le partage de ceux qui n’oublient rien, qui se redressent non parce qu’ils ont déjà oublié qu’ils étaient abattus, mais parce qu’ils se souviennent de s’être déjà relevés, — et cela, pour tels motifs qui les tiendront debout quand même, tant que ces motifs n’auront pas cessé d’être, à leurs yeux, légitimes.

Les impressions douloureuses ne laissent point chez le sanguin de trace profonde, et le besoin d’impressions agréables a bientôt dissipé tout nuage : il est donc optimiste d’instinct. Porté à prendre tout par la bonne anse, il dirait volontiers, comme l’Henri V de Shakspeare :


Dans toute chose mauvaise il y a une essence de bien,
Pour les hommes qui savent la distiller ;
Ainsi nos mauvais voisins nous font lever de bonne heure :
Habitude salutaire et de bon ménager.