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tempéramens sensitif et actif. Sentir, en effet, c’est recevoir et organiser une impression, par exemple, celle d’un coup, celle d’un éclair, celle d’un son subit. Dans les centres nerveux, où l’impression est recueillie et élaborée, il y a au premier moment une perturbation de l’équilibre des molécules, une usure et une dépense, mais cette perturbation est aussitôt suivie d’un réarrangement, par lequel tend à s’établir une harmonie entre l’intérieur et l’extérieur : grâce à cette élaboration, le dehors s’exprime dans le dedans et s’y imprime. C’est dire que, tout compte fait, les opérations constructives dominent dans la sensation et surtout dans la perception. Elles dominent aussi dans cette réaction générale qu’on appelle le plaisir ou la douleur, par laquelle l’organisme entier s’arrange pour s’adapter au nouveau milieu. Enfin, le résultat presque spontané des sensations et perceptions répétées, c’est une facilité acquise par le système nerveux à vibrer de nouveau de la même manière ; là est le fondement de l’habitude, qui elle-même est le fondement de la mémoire. L’habitude et la mémoire sont encore des phénomènes de croissance et d’organisation, qui, en conséquence, se rattachent au pouvoir de sentir. Au contraire, la volition et l’action musculaire sont manifestement une dépense d’énergie : dans les nerfs comme dans les muscles dominent alors les opérations destructives. Nous retrouvons donc, au-dessous des deux grandes fonctions psychiques, l’antithèse fondamentale entre l’acquisition et la dépense, entre « l’anabolisme » et le « catabolisme. »

Maintenant, y a-t-il incompatibilité de nature entre sentir fortement et agir ? Non sans doute. Chaque impression ressentie par la sensibilité, en effet, est un mouvement communiqué qui ne peut se perdre : il doit être restitué ou distribué d’une manière ou d’une autre. Or, la voie ordinaire que suit le mouvement de réaction, c’est celle de la détermination volontaire, se réalisant au dehors par le moyen des muscles. Nous sentons donc pour agir. Il n’en est pas moins vrai que, chez la plupart des individus, une des deux grandes fonctions l’emporte sur les autres. Par cela même, en vertu de la loi du balancement des organes, l’excès sur un point entraîne un manque sur d’autres points. Cela tient à ce que l’énergie totale de l’organisme est une quantité limitée. Cette quantité est-elle assez élevée et, de plus, partagée à peu près également entre l’intégration et la désintégration, entre les fonctions sensitives et les fonctions motrices, il y aura alors équilibre approximatif de la sensibilité et de l’activité. Mais si, à l’un des pôles, afflue un excédent considérable d’énergie, — par exemple au pôle sensitif, — il y aura chance pour qu’il y ait insuffisance d’énergie à l’autre pôle. L’organisme a son budget : obligé à