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ballottages. De ce que les socialistes, qui avaient hardiment posé 390 candidatures et qui voient le chiffre de leurs adhérens augmenter de 25,000 à Berlin, où ils étaient déjà très nombreux et où presque tous les sièges maintenant leur appartiennent, paraissent recueillir un sérieux bénéfice de la dissolution, il ne s’ensuit nullement que la solidité ministérielle soit compromise, ni même que la loi militaire soit vouée à un échec dans l’assemblée qui se réunira le 4 juillet. Au contraire, elle paraît assurée de 10 à 20 voix de majorité.

À coup sûr, si le gouvernement impérial comptait sur cet appel au pays pour déblayer le terrain, il s’est trompé ; la politique allemande s’est encombrée de beaucoup de choses auxquelles, il y a quelques mois, on ne songeait pas. Des points fermes autour desquels on se mouvait sont devenus branlans ; des idées, des programmes ont disparu, d’autres ont surgi. Les anciens partis ont tous été plus ou moins jetés hors de leurs anciens chemins. On s’aperçoit de la disparition de l’homme qui, pendant vingt ans, a dirigé en maître les destinées de l’empire ; l’absence de cette action, attractive ou répulsive, très puissante en tout cas, du prince Bismarck se fait sentir. On ne saurait enlever la plus grosse pièce d’un jeu sans qu’un nouveau groupement ne s’impose sur tout l’échiquier, et ce groupement ne sera pas l’affaire d’un jour.

Le comte Caprivi saura-t-il se servir des élémens que la chambre nouvelle lui apporte ? On doit conjecturer dès à présent que la majorité favorable au projet militaire est trop faible (une quinzaine de voix environ) pour ne pas risquer d’être entamée par les événemens dans le cours des cinq années de la législature. Le nombre est grand des Allemands qui savent que personne en Europe n’a soif de sang, qu’il n’est pas vrai que les Russes arrivent : Die Russen kommen, comme le portait le titre d’une brochure distribuée à profusion le mois dernier, — car l’épouvantail russe a joué au-delà du Rhin, durant cette période, un rôle jusqu’ici réservé à « la soif de revanche » des Français, — et que le bon sens commanderait à un État pacifique de retourner le vieil adage et de dire : Si vis pacem, para pacem.

Cette préparation de la paix, cette détente si désirable que le comte Kalnoky semblait entrevoir, dans ses derniers discours, comme une vision lointaine, comme le mirage d’une terre promise qui nous fuit, le projet recommandé par l’empereur Guillaume en est précisément l’opposé. Il est le para bellum le plus caractérisé que l’on ait vu depuis le traité de Francfort. Les ministres l’ont dit et répété à Berlin : c’est pour être en mesure de prendre l’offensive que l’on demande de nouveaux hommes et de nouveaux crédits. Si le gouvernement allemand qui, lors du vote des lois militaires précédentes (11 février 1888 et 15 juillet 1890), prenait l’engagement formel de ne pas demander à la