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La tête d’ange me manque un peu dans la statue de M. Gauquié ! Il est vrai que sa Marguerite est une femme mûre et d’expérience ; on ne peut lui demander, lorsqu’elle est reine de Navarre, la légèreté d’allures et la candeur de physionomie qu’avait la petite duchesse d’Alençon. N’importe ! Ce n’était pas une raison pour l’embourgeoiser de la sorte, car, à tout âge, suivant les contemporains, on lui put appliquer les autres vers de Marot :


Qu’elle a le corps droit, beau, chaste et pudique !
Son cœur constant n’est, pour heur ou malheur,
Jamais trop gay, ni trop mélancolique.


Nous nous imaginons que les demoiselles de Saint-Denis n’auraient pas éprouvé un plaisir moins délicat à la voir, la délicieuse créature, un peu moins gaie et plus mélancolique ! On n’aurait pas reconnu, pour cela, moins de talent au sculpteur, et cela eût été à la fois plus vrai et plus noble !

Noble ! Voilà un mot bien mal sonnant, bien démodé, qui pourtant correspondait autrefois, dans la littérature et dans l’art, à un sentiment très net, et qu’il serait difficile de remplacer, si les ouvrages auxquels on peut l’appliquer ne se raréfiaient eux-mêmes de plus en plus ! Qu’est-ce qu’une peinture noble, une sculpture noble ? C’est une peinture ou une sculpture dans laquelle la puissance créatrice de l’imagination est soutenue par la grandeur morale de la conception, celle dans laquelle on ne sent aucune préoccupation inférieure, ni de virtuosité professionnelle, ni de séduction sensuelle. Il y a des artistes qui restent toujours nobles, quelle que soient la simplicité ou la vulgarité des sujets qu’ils traitent ; tels furent, de notre temps, par exemple, Delacroix et Millet ; il y en a d’autres qui ne peuvent jamais l’être, quels que soient leur habileté, leur intelligence, leur esprit, leur génie même. Parmi les sculpteurs de notre temps, qui atteignent quelquefois la noblesse, on peut citer M. Barrias. C’est un de nos rares contemporains qui aient encore le sens de la gravité dans la beauté et du charme dans la force. Ses ouvrages n’ont pas tous la même valeur, mais ils respirent tous cette conviction sérieuse et calme qui donne à l’œuvre comme à la pensée une autorité décisive et durable. M. Barrias n’a jamais été mieux inspiré qu’en modelant cette grande statue de marbre pour la Faculté de médecine de Bordeaux, la Nature, mystérieuse et voilée, se découvrant devant la Science. Le titre est un peu compliqué, peut-être imposé, l’œuvre est très simple : une grande et forte femme, debout, les pieds sur un rocher semé de plantes, se débarrassant, de ses deux bras levés, d’une grande draperie dont elle retient les