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une originalité saisissante ; la plupart de ces effigies semblent surtout être faites en vue d’une approbation générale, c’est-à-dire banale et négative. Ne faut-il pas qu’elles conviennent d’abord à des comités d’initiative, de souscription ou de contrôle dont l’entente s’établit presque toujours au profit des médiocrités ? Ne faut-il pas ensuite qu’elles soient approuvées par des populations dont l’éducation, au point de vue de l’art, est, jusqu’à présent, si faussée qu’elles préfèrent, d’habitude, l’emphase à la simplicité et la convention à la vérité ? De la convenance dans l’attitude, de la correction dans l’exécution, c’est donc, en général, tout ce qu’on leur demande. Les statues en bronze de Maisonneuve, fondateur de Montréal, par M. Philippe Hébert, et de Louis Favre, l’un des ingénieurs du tunnel du Saint-Gothard, par M. Lambert, occuperont convenablement les piédestaux qui les attendent au Canada et en Suisse, sans qu’on puisse y surprendre l’explosion d’inspirations inattendues ; on pourrait même y désirer plus de caractère. L’agronome Duhamel du Monceau, par M. Blanchard, est représenté avec une certaine élégance qui est bien dans le goût de son époque. Le chevalier Bayard, cuirassé de pied en cap, répondant aux assiégeans de Mézières, par M. Croisy, est d’une bonne tournure ; son geste simple est suffisamment expressif et son costume de guerre exact sans affectation. Nous avions déjà vu, en plâtre, la grande statue équestre de Lasalle, pour la place de Lunéville, dont M. Louis-Henri Cordier nous montre l’exécution en bronze ; c’est un morceau savamment mouvementé et qui, en place, produira sans doute assez bon effet. Nous ne savons à quel édifice est destinée la statue en marbre de Chevreul, par M. Fagel ; en tout cas, c’est un morceau rare dans cette série et qui fera honneur à son auteur partout où on l’installera, pourvu qu’on l’installe en un jour propice et discret. Ce n’est pas seulement la ressemblance physique qui est frappante dans cette effigie, libre et vive, du célèbre centenaire ; le hérissement désordonné de l’épaisse chevelure en désordre que le vieux savant agita sur sa tête puissante jusqu’à son dernier jour, les rides régulières, multipliées, mobiles, de sa large face aux bajoues pendantes, tout ce qu’il y avait de résistant dans la charpente interne du robuste vieillard, tout ce qu’il y avait d’usé et de tremblant, sur la fin, dans les membres et dans l’épidémie, le sculpteur l’a marqué avec résolution. Cet amour de la vérité, qui semblait naguère un manque de respect envers les grands hommes, nous paraît aujourd’hui, comme aux imagiers du moyen âge et de la première renaissance, le véritable hommage dû à leur mémoire. La ressemblance intellectuelle et morale est non moins saisissante et rigoureuse. Le savant, debout, la main gauche appuyée sur sa canne, gesticule de la main droite et fait