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d’une mélancolie inattendue, avait déjà, l’an dernier, frappé l’esprit net de M. Muenier. Cette fois, il a consacré à ces beaux arbres une toile presque entière, et les a puissamment groupés, dans la clarté douce du soir, au bord de la baie lumineuse, avec une décision ferme et ressentie qui s’approche du grand style.

On peut reprocher, nous l’avons dit, à tout ce groupe de dessinateurs attentifs et d’harmonistes délicats, une certaine timidité dans l’exécution et même une certaine sécheresse de touche ; nous croyons que, dans l’état actuel de l’école, ce sont des reproches qu’ils peuvent braver. Les virtuosités précoces nous ont trop souvent trompés pour que nous ne leur préférions pas la recherche sincère, dût-elle aboutir plus lentement. On sait quelle place honorable tiennent, au Champ de Mars comme aux Champs-Elysées, les élèves de Meissonier, dont les premiers travaux ont toujours été marqués aussi par une certaine dureté, résultat de leurs habitudes sévères d’observation rigoureuse, mais dont les œuvres ont toujours une saveur de vérité intéressante. M. Steinheil, dans ses tableaux de genre historique, la Partie de tarots, et la Lettre, M. Maurice Courant, dans ses marines bretonnes, M. Louis Gros, dans ses scènes de village, la Baignade et l’Abreuvoir, M. Moutte, dans ses études provençales, Lou Gousta et Midi, continuent dignement, par la rectitude consciencieuse de l’observation et la fermeté soignée de l’exécution, la tradition de l’atelier. Les peintures de M. Moutte, en particulier, ont un accent très net et très personnel et comptent parmi les meilleures entre celles, fort nombreuses, que nous envoie la Provence, toujours si riche en paysagistes gais et lumineux, tels que MM. Dauphin et Montenard, depuis que Meissonier, par ses études à Antibes, a ouvert les yeux des peintres aux délicatesses des âpretés méridionales.

On peut mettre MM. Dauphin et Montenard au nombre de ceux qui, parmi les paysagistes, réussissent souvent le mieux à joindre la netteté de l’analyse à la liberté et à la souplesse de l’exécution ; mais ce n’est pas seulement chez les paysagistes que ce désir d’unir ces deux qualités, la précision et l’entrain, l’exactitude linéaire et le mouvement lumineux, se développe au Champ de Mars. Sous l’influence des virtuoses de la couleur et du clair-obscur, de ces étrangers dont nous avons parlé, et de.quelques Français notables, par exemple, MM. Carolus-Duran, Gervex, Carrière, presque tous les peintres, portraitistes, anecdotiers, paysagistes, la plupart pratiquant tous les genres à la fois, y font des efforts marqués pour assouplir, alléger, éclairer, animer leur facture. Rien de mieux si on ne sacrifie pas des qualités de fond à cette recherche de désinvolture. Il est certain que quelques-uns y ont gagné et que, par exemple, dans la manière de