Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux. Dans ce groupe laborieux et intéressant, marche en tête l’ami de M. Dagnan, M. Gustave Courtois, avec quelques portraits d’une précision fine et délicate, le petit Portrait de Mme Spitzer, en pied, assise dans son intérieur et le portrait à mi-corps, de grandeur naturelle, de Mrs Kreismann ; ce dernier, surtout, est d’une physionomie très vivante et d’un style très distingué, avec une certaine aisance d’allures qui n’était pas naguère dans les habitudes de l’artiste. Il arrive toujours un moment où l’artiste le plus consciencieux et le plus scrupuleux doit conquérir, vis-à-vis de la nature, cette liberté d’interprétation qui donne seule aux œuvres de la souplesse et de la vie. On peut être surpris que M. Friant, dont l’habileté a été si précoce et qui n’a cessé d’étudier les choses de près, éprouve encore tant de peine à s’élever au-dessus de l’imitation littérale et photographique. Ses portraits, dans leur exactitude méticuleuse, gardent presque toujours quelque dureté qui en refroidit l’expression. Ce sont des procès-verbaux d’une exactitude incontestable, mais en style peu animé et détaillés sans ardeur. Le Portrait de Coquelin cadet, d’une allure plus gaie, est le meilleur de la série. M. Friant a cependant visité l’Algérie d’où il rapporte des esquisses vives et délicates ; comment n’y a-t-il pas pris un peu plus d’amour pour les colorations chaudes et les belles enveloppes lumineuses ? Le séjour sur la côte d’azur semble réchauffer davantage le talent de M. Mue-mer, qui a tant de rapports avec celui de M. Friant. Tous deux possèdent la même netteté de vision en même temps que des habitudes d’observation singulièrement consciencieuses ; mais, chez M. Muenier, dès ses premières œuvres, on a pu constater des émotions plus vives et une imagination plus sensible. M. Muenier poursuit, avec une conscience remarquable, ses études graves de figures en plein air, dans le pays du soleil ; sa vieille femme, en noir, épluchant une salade Sur la porte, ses deux fruitières bavardant sur un quai de Villefranche dans un Coin de marché, lui ont été l’occasion de développer son intelligence des types expressifs, en même temps que son habileté à modeler ses figures sous le jeu des lumières et des ombres. Le morceau où il se révèle le mieux comme artiste nous semble être pourtant son esquisse d’une Querelle de charretiers, parce que là se joint à la vérité de l’observation une animation plus libre dans les personnages et dans le mouvement général de la peinture. Dans toutes ces toiles, les paysages sont remarquablement justes et fidèles. Le tableau de Villefranche au crépuscule, tableau sans figures, établit d’ailleurs la valeur de M. Muenier comme paysagiste. La physionomie, un peu sombre, de ces pins sauvages, aux profils déchiquetés, qui jettent là-bas, dans la joie bleue de l’air et de la mer, une note sérieuse,