Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coloration. Quand un artiste s’accoutume à brusquer ainsi l’exécution, il brusque vite aussi son observation et sa pensée. En tout cas, lorsqu’il s’agit d’exprimer des choses fines et délicates, cette pesanteur de main devient incompréhensible et blessante. Nous craignons que toute l’école de Munich, après avoir été trop molle, luisante et satinée, ne verse, en bloc, de ce côté. Celui qui manie le mieux, avec le plus d’esprit et de dextérité, avec un sens toujours présent du détail pittoresque, ces touches éclatantes et solides dont l’exemple est venu de Hollande, M. Kuehl, l’auteur du Nettoyage, de la Vieille brasserie, etc., n’est pas exempt lui-même de quelques lourdeurs ; mais il se fait beaucoup pardonner par ses vives et fermes qualités d’observateur et de coloriste. M. de Uhde aurait-il, lui aussi, gâté son sujet : Deux jeunes filles lisant dans un jardin, s’il avait donné à sa touche plus de légèreté, partant plus de fraîcheur et de jeunesse ? En tout cas, nous ne saurions dissimuler le plaisir que nous éprouvons à voir un artiste de cette valeur secouer le manteau grisâtre et boueux dont il se couvrait depuis quelques années pour reprendre le goût plus sain du soleil, des fleurs, de la beauté et de la vie. Croit-on aussi que Mlle Breslau, qui analyse, d’un œil si pénétrant, les visages de jeunes femmes et de jeunes filles, qui a le sentiment si juste des attitudes et des expressions, ne produirait pas des œuvres plus complètement satisfaisantes, si elle usait d’un procédé moins pénible, moins sec, moins triste, c’est-à-dire d’un procédé souvent contraire à ce qu’elle veut exprimer ? Voyez, par exemple ses Gamines étendues sur l’herbe ! Les figures sont jeunes, très individuelles, expressives, poétiques ; la touche, plâtreuse et lourde, est presque vieillotte, et cette contradiction entre le fond et le dehors trouble légèrement notre plaisir.

N’est-ce pas encore par une insistance excessive dans l’affirmation de son goût pour le dessin rude et expressif et de son mépris pour les harmonies molles que le Belge, M. Frédéric, un grand artiste pourtant, dont nous avons déjà signalé l’étrange personnalité, rebute bon nombre de visiteurs ? Le mélange d’archaïsme acerbe, de réalisme intense, d’intentions subtiles, qui constitue son talent bizarre, étonne d’abord plus qu’il ne charme. Son Annonciation où Marie, saluée par un gamin bouffi et empêtré dans une robe boursouflée, prend la tournure d’une maritorne flamande, négligée et niaise, n’exhale pas un parfum indiscutable de sincère naïveté. Il y a bien aussi quelque maniérisme dans l’arrangement compliqué de ces figures symboliques, la Nuit, le Clair de lune, la Vanité des grandeurs, mais un maniérisme puissant et de tournure assez grandiose. C’est dans ses portraits, celui d’une jeune femme vue de profil, ceux d’une mère avec sa fillette