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à des bouts d’étude et se trouvent hors d’haleine dès qu’il s’agit d’assembler deux figures ou de mener seulement à bien une figure entière. Les plus sincères restent d’une timidité désolante et semblent n’oser regarder la nature qu’à travers la lent-Ile sèche et froide du photographe, en se cachant la tête sous le drap noir. Je ne sais si les jeunes peintres impressionnistes parlent aussi volontiers et avec autant de complaisance de leur indomptable virilité que les jeunes poètes symbolistes, mais on aimerait à trouver, dans les œuvres des uns comme dans celles des autres, quelque preuve décisive, franche et saine, de cette virilité ; c’est malheureusement ce qui leur manque le plus.


I

Dans ce désarroi de l’école française, les artistes étrangers qui souvent ne dessinent pas mieux que les nôtres, mais qui parfois peignent mieux, plus librement tout au moins et plus vivement, tendent à prendre une place prépondérante. Ce n’est pas seulement par leur quantité (154 exposans sur 352) qu’ils marchent presque de pair avec les Français dans la société dite Nationale, c’est surtout par leur mérite. L’Angleterre, avec sa distinction poétique et ses hardiesses, violentes ou subtiles, de coloriages, la Belgique, avec ses habitudes séculaires de réalisme énergique et ses traditions d’un métier robuste et consciencieux, l’Allemagne, avec l’insistance puissante de son éclectisme raisonné et savant, la Scandinavie, avec sa sensibilité fine et curieuse de vision et d’observation, nous apportent, cette année encore, un contingent d’élémens extérieurs dont l’action s’exercera assez vite, comme d’habitude, sur nos compatriotes. Le phénomène n’est pas nouveau ; on n’a pas non plus à le déplorer. C’est par des secousses venues du dehors, tantôt du Nord, tantôt du Midi, que, depuis plusieurs siècles, l’art de la peinture s’est, chez nous, constamment renouvelé, sans cesser d’être un art national, parce qu’il a toujours été jusqu’à présent assez robuste, assez sincère, assez discipliné, pour s’assimiler promptement ses emprunts et rendre à ses prêteurs plus qu’ils ne lui avaient donné : il y a donc lieu d’espérer que, dans l’avenir, ce contact extérieur ne nous sera pas plus nuisible que dans le passé.

Les peintures de M. Burne-Jones, l’un des représentans les plus nobles de ce qu’on est convenu d’appeler le préraphaélitisme, ne sont pas inconnues ni récentes ; de l’autre côté de la Manche, pour quelques Écoles nouvelles, plus réalistes ou plus symboliques, on les regarde même comme déjà vieillies et démodées. Nous n’avons, pour nous, qu’à tenir compte de leur valeur réelle, en dehors de