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religieuse s’y dissimule assez adroitement derrière la modération apparente du récit. Rien de plus insuffisant toutefois que ces sortes d’ouvrages, dictionnaires, arsenaux des hommes de parti, qui, sans doute, laissent échapper une partie de la vérité, mais une vérité fragmentaire, et, si j’ose dire, un peu hypocrite, qui forcément provoquent la réfutation, montrent les auteurs peu familiers avec les idées de synthèse, avec les principes généraux : idées et principes qui doivent guider l’historien, lui servir en quelque sorte de garde-fous lorsqu’il est tenté d’affirmer une proposition absolue, de trop abonder dans son propre sens. Consacrer dix volumes à l’examen de la persécution religieuse dans un seul département, n’est-ce pas inciter un auteur à en écrire dix autres pour célébrer l’œuvre révolutionnaire dans le même pays ? Et certes, preuves, argumens, ne manqueront pas plus à celui-ci qu’à celui-là. Réprouver les actes d’intolérance de quelque côté qu’ils partent, rien de mieux, mais ne convenait-il pas d’énumérer les causes des représailles, surtout lorsque ces causes apparaissent éclatantes, multiples, attestées par dix siècles de souffrances, souffrances telles qu’on serait parfois tenté de croire que l’expiation n’a pas été en proportion de la faute ? Ne fallait-il pas insister sur ce grand crime ou du moins ce terrible malentendu de l’émigration, la conspiration monarchique à l’intérieur, la France menacée de tous côtés par ces puissances étrangères en qui les révolutionnaires ne pouvaient s’empêcher de reconnaître les alliés de Louis XVI et de la noblesse, des dangers si formidables justifiant dans une certaine mesure le délire du patriotisme ? Certes, il convient de reléguer au rang des légendes, des contes de nourrices gravement propagés par des orateurs, même par des historiens, comme celui qui représente nos paysans forcés de passer les nuits à battre l’eau des étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de M. l’abbé de Luxeuil ; ou cet autre qui attribuait aux comtes de Montjoie, anciens seigneurs de Maiche, le droit et l’habitude de faire éventrer un de leurs vassaux, au retour de la chasse, en hiver, pour se chauffer les pieds dans ses entrailles fumantes (le copiste avait écrit serf au lieu de cerf). Mais il n’aurait pas été inutile de dire l’énormité de l’abus monarchique, monacal et féodal, les sujets de l’évêque de Saint-Claude, ces protégés de Voltaire, demeurés serfs et mainmortables en plein XVIIIe siècle, gens de poursuite et gens de for-mariage, pouvant être ramenés dans la seigneurie s’ils l’abandonnaient, privés du droit de se marier au dehors, gens taillables haut et bas, incapables de léguer leurs biens de mainmorte, de vendre, aliéner, hypothéquer sans le consentement du seigneur. M. Sauzay a montré le chapitre de