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par le prince de Condé ; la résistance presque nulle, les corps de ville démoralisés, Dole défendue quelques jours à peine, Besançon elle-même se rendant sans coup férir. « Dieu ôta le courage à notre province en lui ôtant ses chefs, » observe J. Chifflet. Lacuzon seul remporta un succès éphémère à Montaigu, et dans cet affaissement universel on ne peut guère relever que le mot hardiment significatif de Mougin, maire de Gray, présentant les clés de la ville au roi : « Sire, votre conquête serait plus glorieuse si elle vous eût été disputée. » Des députations de la ville de Besançon, de l’archevêché, du parlement et des états allèrent solliciter les faveurs royales à Saint-Germain, députations assez mal reçues, car Louvois leur confirma l’ordre de démolir les fortifications de Gray, Dole et des autres châteaux susceptibles de quelque résistance, ordre exécuté avec la plus grande rudesse, accompagné d’exactions nombreuses et de la spoliation des arsenaux : il savait que la Franche-Comté serait rendue à l’Espagne et voulait pouvoir y entrer à toute heure. Le nouveau gouverneur français faisait plier tout le monde, menaçait de suspendre le parlement, forçait les neuf députés des états à prêter serment de fidélité dans les termes les plus humilians. Et c’est dans cet état qu’au mois de juin 1668 les garnisons françaises quittèrent la Comté.

Elles laissaient derrière elles comme une traînée de troubles et de malheurs, vengeances du gouvernement espagnol, vengeances populaires. Le parlement lut suspendu, la province occupée par des régimens de Lorrains et d’Allemands, ses charges aggravées ; le peuple criait à la trahison, il demandait compte à ses magistrats de leurs sympathies pour la France, de leurs malversations, il voulait faire payer au parlement ses fautes récentes et ses mépris anciens. Les gouverneurs espagnols semblent n’avoir d’autre souci que de pressurer le pays, en lui tirant des veines les dernières gouttes du sang, mettent aux enchères entre Besançon, Dole et Salins, le siège du parlement, les députés des villes revendiquent avec hauteur la prétention de ne plus dépendre des États, les désordres des soldats demeurent impunis, et l’on signale plus de quatre-vingts meurtres en une seule année dans un des bailliages[1]. Le marquis de Listenois, de la maison de Bauffremont, seigneur de haut parage, très ambitieux, bailli d’Aval et partisan de la France, essaya de mettre à profit la situation ; il comptait sans doute de nombreux appuis secrets dans les villes et parmi la noblesse, se présentait comme libérateur de la province, comme protecteur des libertés municipales. Mais cette espèce de conspiration mal concertée, mal organisée, avorta assez

  1. Ph. Perraud, Émeutes en Franche-Comté. — Sur Listenois, Annales franc-comtoises, 1868, et Revue franc-comtoise, année 1844.