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demeuraient inviolées : Dole, Gray, Salins, Besançon ; la guerre s’épuisait faute d’alimens, et la peste fit lâcher prise à la France. En 1644, les hostilités cessent à peu près, et l’on conclut un armistice, renouvelé d’année en année, jusqu’à cette paix de Munster, où brilla Antoine Brun, le dernier des grands diplomates comtois, et qui, moyennant un don annuel de 40,000 écus, assura la tranquillité à la Comté. Quelle paix et quelle tranquillité ! Presque la tranquillité des tombeaux ! Aux pauvres Comtois, l’allié avait été presque aussi redoutable que l’ennemi ; le pillage, voilà le premier et le dernier mot de l’administration, j’ose à peine dire de l’intendance, dans l’armée du duc de Lorraine, moins célèbre peut-être par ses talens militaires que par cette Béatrix de Cusance, sa femme de campagne, qui vivait avec lui sous la tente. La population réduite des quatre cinquièmes, beaucoup de villages brûlés, de châteaux anéantis, leurs habitans morts, les campagnes presque semblables à un désert, tant de ruines attestaient en même temps la violence de l’envahisseur, la fermeté de la défense. « Chaque année, écrit Monglat, ils nous usent une bonne armée, ils passent nos rivières comme des désespérés, et nous viennent chercher furieusement chez nous. » Quant à l’Espagne, sa reconnaissance fut verbale plus que réelle : le roi leur écrivit qu’ils étaient les premiers de ses vassaux, ceux qu’il estimait le plus et désirait conserver, dût-il pour eux hasarder ce qu’il avait de plus estimable en son royaume. Vaines promesses, qu’on n’eut ni la force ni la volonté d’accomplir !

Vingt ans plus tard (1668), les plaies d’une telle guerre commençaient à peine à se fermer ; démantelée, exsangue, la province n’a ni places fortes en état, ni milice, ni argent pour subvenir aux nécessités urgentes, pour satisfaire l’avidité des Suisses, « ce monde qui est si cher. » Sauf Lacuzon, les héros d’autrefois ont disparu ; Boy vin, le grand Boyvin, est mort presque pauvre en 1650, après avoir consacré ses derniers efforts à repeupler un peu le pays. Épuisée par ses revers, l’Espagne demeure impuissante à le défendre : Charles-Quint, a-t-on dit, avait été général et roi, Philippe II n’avait été que roi, Philippe III et Philippe IV n’avaient été ni l’un ni l’autre, Charles II ne fut même pas un homme, et n’eut point de postérité. Non-seulement impuissante, mais ingrate ; haine, abandon, mauvais procédés, le gouvernement des Pays-Bas n’épargne rien aux Comtois ; à la fin, il leur envoie des gouverneurs espagnols qui font litière de leurs franchises, les accablent d’impôts, et Gabriel Quinones ne pourra s’empêcher de dire que le prince d’Arenberg leur a baillé le coup dans le cœur, qu’après lui son père leur a donné l’extrême-onction, et que le gouverneur d’Alvelda était venu pour les enterrer. La jalousie, la discordé, qui déjà ont menacé de compromettre la défense en 1636, sévissent