Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génie universel : il est l’oracle du parlement, le négociateur du roi, du gouvernement de Bruxelles ou de sa compagnie ; tour à tour ingénieur, chef ou soldat, il embellit Dole qui lui doit la plupart de ses monumens publics et ses plus beaux édifices particuliers, complète ses fortifications, il est pendant dix ans l’âme de la défense, ignore le découragement, contient Conflans et Girardot de Nozeroy qui cherchent à diviser l’autorité et à dominer le parlement ; « car, dit-il, avec une légitime fierté, on ne m’a point celé que j’estoys le seul gouverneur de la province et que ce gouvernement de gens de lettres mettoit la noblesse en grand mécontentement. » La vie de cet homme semble un chapitre détaché de Plutarque : en 1639 au milieu des plus cruels périls, suspendu sur les abîmes, « dans ces incroyables disettes et abandonnemens, » il conserve la liberté d’esprit nécessaire pour écrire un traité d’algèbre et une étude sur les monnaies. Grâce à lui, grâce à ses intrépides auxiliaires, le comte de La Verne, Ferdinand de Rye, archevêque de Besançon, qui vient s’enfermer dans Dole à l’âge de quatre-vingts ans, les Comtois n’attendront pas que l’ennemi vienne leur mettre les fers aux pieds, et l’on vit ce spectacle assez étonnant : tout un peuple, hommes, femmes, enfans, bourgeois et soldats, religieux et laïques, se ruant à la défense de la patrie avec un enthousiasme inextinguible, résistant aussi vaillamment aux généraux de Louis XIII, Condé, Weimar, Longueville, Villeroy, Grancey, Turenne, qu’aux fléaux de la nature, la mort se présentant sous toutes les formes sans pouvoir lasser un héroïsme qui est au courage ce que la folie de la croix est à la foi, ces paysans marchant au combat comme à un banquet, la croix de Bourgogne sur la poitrine, une branche de tilleul vert au chapeau, dans les mains leurs larges fléaux garnis de pointes de fer. La France, alliée des Suédois et des protestans, parut plus huguenote, plus haïssable que jamais. Beaucoup de sièges, de petits combats, peu de batailles rangées, villes et châteaux pris, repris, traités d’ordinaire avec cette cruauté qui semble alors le droit commun en temps de guerre. Aux sommations de Condé, les Dolois répondent qu’ils entendront plus volontiers son canon que ses paroles, et qu’ils l’arrêteront sous leurs murs aussi longtemps qu’il était resté dans le ventre de sa mère ; munis des sacremens, ils gardent une des deux hosties mira-

    de Beauchemin, Histoire de la guerre de dix ans. — Roland, Précis pour servir à l’histoire de Morteau. — Louis Jousserandot, le Diamant de la Vouivre, le Capitaine Lacuzon. — Abbé Morey, les Capucins en Franche-Comté. — Voltaire, Siècle de Louis XIV. — Annales franc-comtoises, 1868, Ferdinand de Rye. — Pellisson, Conquête de la Franche-Comté. — Histoire de Jonvelle, par MM. Châtelet et Coudriet ; 1 vol. in-8o, etc.