Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discrête. Sous peine de confiscation de corps et de biens, les ordonnances des souverains et du parlement défendent de donner à lire les livres de la secte, d’aller au prêche, de favoriser les mariages mixtes, de fréquenter ou cacher des hérétiques, etc., et la sainte inquisition se charge de commenter ces interdictions. Enfin, le miracle de l’ostensoir de l’église de Faverney qui, contrairement à toutes les lois de la dynamique, serait demeuré suspendu en l’air plus de trente heures (1608), au milieu des débris de l’autel incendié, prodige attesté par des centaines de personnes de Faverney, des villages voisins, de Vesoul même, qui défilèrent pendant tout ce temps en criant : « Miracle ! pardon et miséricorde ! » contribua encore à aviver la loi des foules[1].

L’histoire intime des derniers comtes de Montbéliard a été racontée par M1*0 d’Oberkirch : dame d’honneur et femme de cour jusqu’au bout des ongles, assez spirituelle et même clairvoyante lorsque l’étiquette n’est pas en jeu, elle professe pour ses maîtres une tendresse profonde qui ne lui permet pas de les juger. Cependant elle osa critiquer tout doucement un de leurs ancêtres, le duc Léopold Eberhard (1699-1722), bon militaire, mais assez triste prince, aussi arbitraire que dissolu, qui eut de quatre sœurs, successivement ou conjointement, un grand nombre d’enfans naturels, et stupéfia par ses débordemens un monde assez familier avec ce genre de scandale ; mais pour les autres, elle est toute admiration, toute extase, et ses Mémoires rappellent beaucoup plus ceux de Dangeau que ceux de Saint-Simon. Ils n’en ont pas moins de prix, nous font assister au ménage d’une cour presque lilliputienne à Montbéliard et au château d’Étupes. C’était, à tout prendre, d’assez aimables princes, grands chasseurs et bons vivans, fort éloignés de l’intolérance religieuse de leurs aïeux, puisque Frédéric-Guillaume et ses frères sont catholiques, un peu tièdes sans doute, tandis que la duchesse, nièce du grand Frédéric, est protestante, que deux de leurs filles adoptent la religion grecque et le catholicisme pour épouser le fils de Catherine II et François de Hapsbourg, depuis empereur d’Autriche. Grande affaire lorsque le prince Louis, second fils du comte de Montbéliard, épouse une Czartoryska, malgré sa famille ; il fallut une négociation où intervint la grande-duchesse pour qu’il obtînt son pardon, car bien que les Czartoryski descendissent des Jagellons, et que la jeune mariée fût cousine germaine du dernier roi de Pologne, ils n’avaient point rang de maison souveraine : Mme d’Oberkirch eut le bonheur d’y réussir, et

  1. Chronique de l’église de Vesoul, — Notice historique sur Faverney, par M. l’abbé Morey.