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Genève, Neuchâtel, Montbéliard, où se trouvaient déjà force protestans français, où ils préparèrent la revanche qui leur rendrait biens et patrie. Au milieu de 1575, on se crut assuré du succès. Paul de Beaujeu se mit en marche à la tête d’une troupe de Français, Allemands, Bourguignons, il comptait sur un contingent suisse, sur les reîtres du duc Casimir ; ceux-ci manquèrent au rendez-vous et les habitans de Villers-le-Lac, de Morteau, repoussèrent les gens de Neufchâtel. Paul de Beaujeu avait des intelligences dans la place de Besançon, il se décida à l’attaque. À deux heures du matin, un détachement de ses hommes escalade les murailles, se saisit des clés de la porte Battant, de l’artillerie et des munitions de guerre qui s’y trouvent, ouvre aux camarades ; tous gagnent le pont, braquent les canons et déploient leurs étendards en criant : « l’Évangile ! Victoire ! Victoire ! Ville gagnée ! » Leurs coreligionnaires, demeurés dans la cité à la faveur d’une abjuration feinte, se joignent à eux, mettent des signaux à leurs fenêtres pour se faire reconnaître. Cependant, revenus de cette surprise, les habitans engagent un combat corps à corps. Guillaume de Vergy organise la défense à l’hôtel de ville, pourvoit à la garde des portes, l’archevêque Claude de La Baume commande excellemment, ayant la rondache au bras et le coutelas à la main ; enfin Beaujeu est renversé de cheval et blessé gravement d’un coup de pique. Le désordre se met dans les rangs des assaillans qui s’enfuient, écrasés par les projectiles qu’on leur lance par les soupiraux des caves, du haut des greniers ; ils trouvent la porte Battant fermée, les uns se jettent dans la rivière et s’y noient, d’autres sont tués à coups d’arquebuse, ou pris les armes à la main, livrés au gouverneur, pendus, décapités, écartelés, traînés sur la claie ; plusieurs attachés à des poteaux d’infamie, hors des murs de la ville ; le gardien d’une des portes, convaincu de connivence avec l’ennemi, muré tout vif à son poste. La cruauté de la répression égalait la crainte qu’avait inspirée l’entreprise ; on bannit, on emprisonna, on tua les simples suspects d’hérésie. — Besançon était sauvée, avec cette ville, la Comté entière, et la victoire fortifia les catholiques dans leurs croyances ; les États, la confrérie de Saint-George, les paysans avaient défendu la religion avec une fermeté immuable. Si pendant longtemps on continua d’aller à la messe en armes, si des confréries militantes se formaient dans les campagnes pour repousser toute attaque, s’il y eut encore quelques menées du dehors et du dedans, comme celle de Vurry, maire de Dole, prévenu de trahison et mis en prison très étroite, l’heure des grandes inquiétudes était passée ; l’hérétique dut baisser les cornes et se borner à une propagande