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reur en France, en Allemagne, commettant partout des cruautés inouïes, jusqu’à massacrer cinquante enfans dans le seul village de Granvillars. Les nobles comtois donnèrent aussi la chasse aux pillards, mais ces singuliers protecteurs ne valaient guère mieux, et on les surnomma retondeurs, parce qu’ils s’emparaient de ce que les Écorcheurs n’avaient pu emporter.

Par la ruse et par la force, par diplomatie, traités et mariages, les successeurs de la comtesse Henriette ajoutèrent à leurs possessions les quatre terres, comprenant les seigneuries d’Héricourt, Blamont, Châtelot et Clémont, qui enserraient le comté de Montbéliard et avaient longtemps appartenu à la maison de Neuchâtel. Non contens de leurs droits de seigneurs, ils profitèrent des troubles qui ébranlaient l’Europe au XVIe siècle pour s’arroger des droits de souveraineté, contestés sans succès par l’archiduc Albert, demeurés litigieux jusqu’à la conquête de Louis XIV : à cette époque, les quatre terres redevinrent fiefs du comté de Bourgogne et rentrèrent dans la mouvance.

Mais l’œuvre la plus importante des Wurtemberg, celle qui nous intéresse le plus par ses conséquences et son rayonnement sur notre province, c’est l’introduction de la réforme dans le comté de Montbéliard : œuvre de toi, œuvre de protestation contre les abus de la cour de Rome, œuvre de violence aussi et de machiavélisme où, comme dans les autres institutions humaines, les plus viles passions coudoient les plus élevées, où la haine, la cupidité font cortège aux convictions abstraites, et, après la protestation vengeresse des apôtres de la pensée libre, lancent leur cri de guerre aux propriétés ecclésiastiques, où des princes protestans se prétendent souverains arbitres des croyances de leurs sujets, s’attribuent le droit de les persécuter au même titre que les princes catholiques ; œuvre néfaste aux yeux des hommes épris d’unité religieuse, nécessaire, légitime peut-être aux yeux de l’historien, du philosophe, qui, sans trop s’arrêter aux déviations de principes, aux tristesses de la lutte, aux âpretés de la victoire, considèrent les causes et surtout le résultat final : l’âme émancipée, des vices sociaux ébranlés sinon déracinés, un nouveau ferment d’énergie et d’espérance introduit dans le monde, le progrès de l’idée de tolérance, l’écroulement de la tyrannie religieuse présageant la chute du despotisme politique. Car de se récrier, comme on le fait, contre les exactions et les rapines d’un Ulric de Wurtemberg, de commenter longuement ses édits contre l’ancien culte, les marques de protection accordées au culte évangéliste, aux prédicateurs Farel, Pierre Toussaint, d’admirer la longue résistance des catholiques en certains lieux et ces générations de paysans qui pendant plus de cent ans tiennent